Le corbeau, rusé comme un renard ?

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   En sus d’une mauvaise réputation due à l’âpreté de son ramage et à la couleur de son plumage, le corbeau est classé par certaines œuvres littéraires dans la catégorie des bêtes qui manquent d’intelligence.

Par exemple, une célèbre fable française du 17ème siècle écrite par Jean de La Fontaine met en scène un corbeau et un renard. Ce dernier dérobe habilement la pitance de l’oiseau, entérinant ainsi dans l’inconscient collectif l’idée que le corvidé n’utilise pas sa cervelle.

   Le Coran quant à lui, mentionne l’animal dans une situation plutôt élogieuse, puisque l’oiseau tient la place d’un maître qui enseigne au fils d’Âdam Qâbil (Caïn) comment inhumer la dépouille de son frère Hâbil (Abel) : « Puis Allâh envoya un corbeau qui se mit à gratter la terre pour lui montrer comment ensevelir le cadavre de son frère. Il dit : “Malheur à moi ! Suis-je incapable d’être, comme ce corbeau, à même d’ensevelir le cadavre de mon frère ?” Il devint alors du nombre de ceux que ronge le remords. », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.31.

فَبَعَثَ ٱللَّهُ غُرَابً۬ا يَبۡحَثُ فِى ٱلۡأَرۡضِ لِيُرِيَهُ ۥ كَيۡفَ يُوَٲرِى سَوۡءَةَ أَخِيهِ‌ۚ قَالَ يَـٰوَيۡلَتَىٰٓ أَعَجَزۡتُ أَنۡ أَكُونَ مِثۡلَ هَـٰذَا ٱلۡغُرَابِ فَأُوَٲرِىَ سَوۡءَةَ أَخِى‌ۖ فَأَصۡبَحَ مِنَ ٱلنَّـٰدِمِينَ

   Un volatile à la réputation exécrable investi d’une aussi lourde responsabilité est un cas de figure qui mérite réflexion. Pourquoi Allâh aurait-il confié cette tâche à un corbeau si celui-ci n’en était pas digne ? Des observations comportementales menées par différents ornithologues modernes sur plusieurs corbeaux ont prouvé la présence d’une forme d’intelligence très développée.

Un oiseau de malheur ?

   Initialement, les hommes avaient une opinion positive des corbeaux. La réputation dont jouit actuellement cet oiseau ne fut pas toujours ce qu’elle est aujourd’hui en Europe et ne coïncide pas forcément avec celle des autres peuples.

   De nombreuses civilisations entretenaient des rapports empreints de respect avec la nature et les prédateurs faisaient l’objet d’une grande admiration. L’influence du christianisme vint modifier l’échelle des valeurs au sein des sociétés paysannes sédentarisées. La peur de la nature, dont l’homme s’éloignait de plus en plus, s’installa petit à petit. Associés aux grandes épidémies et aux champs de batailles dans lesquels ils apparaissaient en grand nombre, les corbeaux et leurs cousins noirs devinrent des symboles macabres. Leur comportement naturel de charognards autrefois bienvenus fut interprété différemment : perçus comme des profanateurs venant troubler la paix des morts, ils suggéraient la malédiction divine.

   Cela dit, beaucoup de peuples ne partagent pas cet avis concernant le corbeau. Alors que certains lui attribuent l’arrivée des nouveau-nés (Transylvanie), d’autres le considèrent comme un symbole du soleil (mythologie chinoise) ou comme une réincarnation divine (brahmanisme).

   Même si les superstitions concernant l’oiseau noir tendent à disparaître de nos jours, celui-ci reste souvent mal-aimé à cause de ses cris dissonants.

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Grand corbeau et corbeau freux

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Choucas des tours et corneille noire

Généralités

   Le corbeau (corvus) appartient à la vaste famille des corvidés qui comprend des espèces telles que la pie, la grive, le geai et bien d’autres encore. Mal connu, il est souvent confondu avec ses confrères la corneille noire et le choucas des tours, mais en réalité, il existe une grande variété de corbeaux dans le monde. Parmi eux se trouvent le corbeau nain, le corbeau freux, le corbeau à cou blanc, le corbeau pie, le corbeau calédonien, etc. ; le plus commun étant le grand corbeau que l’on trouve à travers toute l’Europe, l’Afrique du Nord, l’Asie, l’Amérique du Nord et le Groenland. Cela dit, le corbeau a conquis tous les milieux, exception faite de l’Antarctique.

   La plupart des corbeaux sont grégaires. Certaines espèces se retrouvent en dehors de la période de nidification, d’autres vivent en colonies tout au long de l’année. La vie en communauté donne accès à l’individu à d’autres sources alimentaires et garantit la protection des zones communes contre les prédateurs. Par ailleurs, le groupe permet également aux jeunes oiseaux de rencontrer leur partenaire, même si leur installation en couple n’est pas immédiate. C’est à l’âge de deux ans que le corbeau courtise sa dulcinée. Celle-ci donne son consentement en acceptant la becquée que lui propose son prétendant. Ils vivent ainsi unis pour la vie.

   Les corbeaux ont par conséquent un sens intéressant de la vie en commun : respect, loyauté et bienveillance sont des qualités qui les lient étroitement à l’espèce humaine.

Des situations révélatrices

   Les observations modernes ne sont pas les premières à reconnaître l’intelligence élevée des corvidés. Quelque 2600 ans plus tôt, le fabuliste grec Esope décrivait déjà l’ingéniosité du corbeau dans une de ses fables. L’oiseau assoiffé trouve un pichet d’eau, mais ne peut atteindre le liquide avec son bec. Après avoir vainement essayé de renverser le récipient, il met en place un procédé astucieux : remplir le pichet de pierres pour faire monter le niveau d’eau et s’abreuver confortablement. L’auteur avait dû observer une scène similaire dans la réalité, car plusieurs corbeaux mis dans cette situation agissent de la même manière à l’époque actuelle.

   D’autres expériences ont prouvé que les corvidés ont conscience d’eux-mêmes. La réaction d’une pie devant son reflet dans un miroir fut révélatrice de cet état de fait. Pour ce faire, les ornithologues avaient pris soin d’appliquer une tache de couleur sur le corps de l’oiseau. La tache n’était visible que dans le reflet renvoyé par le miroir. En apercevant son image, la pie chercha immédiatement à se débarrasser de la tache par un toilettage ciblé.

   Les corvidés s’adaptent d’ailleurs très bien à leur temps et à leur environnement et savent comment en tirer profit. Les corneilles du Japon ont développé des stratégies surprenantes et ingénieuses pour ouvrir les coques des noix. Elles lancent leur fruit au-dessus de la chaussée et attendent patiemment que les automobiles roulent sur la noix. Remarquant cependant la difficulté à récupérer le fruit à cause de la circulation, elles améliorèrent leur technique en opérant au-dessus des passages réservés aux piétons. Elles guettent alors le feu vert pour saisir leur nourriture en toute tranquillité.

   Enfin, un biologiste soumit ses corbeaux à un test assez exigent qui consistait à récupérer un morceau de viande attaché à une branche par une ficelle. La nourriture était trop élevée pour l’atteindre à partir du sol et étroitement serrée par la corde : l’oiseau ne pouvait l’attraper au vol. La première fois (en été), aucun corbeau ne fut à la hauteur. Au second essai (en hiver), les résultats furent surprenants : l’oiseau se positionne sur la branche et tire la ficelle avec son bec en la maintenant avec sa patte jusqu’à ce que la viande atteigne la branche. Cette deuxième mise en situation stimula le corbeau qui mena vraisemblablement une réflexion concluante.

Une mémoire d’éléphant

   Les êtres humains ― et les éléphants ― ne sont pas les seuls à bénéficier d’une mémoire à long terme. Les chercheurs ont observé que le corbeau est en effet capable de se souvenir et de distinguer des visages sur une longue période. En outre, plusieurs expériences ont démontré qu’il peut même communiquer des informations à ses congénères concernant ces visages si besoin est (en cas de danger par exemple).

   Le corvidé met également sa mémoire au service de son estomac : le geai, cousin du corbeau, a montré qu’il était capable de se souvenir des innombrables endroits où il entrepose sa subsistance. Plus surprenant encore, il distingue parfaitement les lieux qui abritent des aliments périssables de ceux où sont stockés les aliments qui s’altèrent moins rapidement.

   Par ailleurs, de nombreuses observations suggèrent que la mémoire du corbeau lui permet de stocker des savoir-faire acquis par apprentissage. Étant donné que la grande majorité des corvidés sont des oiseaux sociaux, ils ont donc la possibilité d’apprendre auprès de leurs parents.

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Corbeautière

Un polyglotte confirmé

   La virtuosité langagière du corvidé s’explique aisément par l’organisation de sa vie sociale et les comportements qui en résultent. La majorité des sons et des appels qu’il émet ne sont pas innés, mais acquis par apprentissage. Cette faculté d’assimiler les diverses sonorités ― que l’on retrouve chez d’autres oiseaux comme le perroquet ― explique leur propension à imiter, en captivité, la voix humaine. Il parvient également à imiter les cris d’autres espèces d’oiseaux et maitrise tout un éventail de sons insolites, comprenant par exemple le timbre des cloches, le bruit des tondeuses ou encore celui des motos. Ce répertoire évolue sans cesse, incluant même de nouvelles sonorités comme les sonneries de téléphones portables !

Une maîtrise assurée de l’outil

   L’utilisation d’outils est une prouesse considérée comme un signe évident d’intelligence qui fut pendant longtemps attribuée exclusivement à l’homme. En réalité l’on sait aujourd’hui que plusieurs animaux ont recours à des instruments plutôt rudimentaires (tiges, cailloux) dans le but de se nourrir. C’est le cas du corbeau calédonien à l’état sauvage. Mais celui-ci ne se contente pas d’utiliser habilement ces éléments naturels, il est également capable de fabriquer des outils de formes variables à partir de feuilles et de petites branches selon ses besoins. Il réalise des sortes de « fourchettes à escargots » plus ou moins étroites, ou des crochets divers pour extraire des larves d’insectes. Une telle faculté suggère une connaissance manifeste de son environnement et des propriétés des matériaux utilisés.

   En captivité, le corbeau calédonien agit de même et invente spontanément des outils, toujours pour accéder à sa pitance. Il va même jusqu’à combiner l’utilisation de plusieurs outils pour arriver à ses fins. S’il ne dispose pas d’éléments extraits de son milieu naturel, il sait adapter ses techniques de fabrication au matériau dont il dispose et produit des outils comparables ; il semble donc raisonner par analogie.

   L’exemple du corbeau freux est différent, car celui-ci n’utilise pas d’outils dans son milieu naturel : sa nourriture y est abondante et facile à atteindre. En revanche, lorsqu’il est en captivité, le corbeau freux agit « de façon experte et sans entraînement » selon les termes d’un chercheur de l’université de Cambridge. D’après les expériences menées dans cet établissement, les corbeaux freux ont rapidement compris comment accéder à leur nourriture en choisissant les outils adéquats.

   Mis à part le corbeau, aucun oiseau n’avait réussi à résoudre de telles difficultés.

La faculté d’anticiper l’état d’esprit de ses pairs

   L’être humain est incontestablement doté de cette aptitude à imaginer ce que peut penser autrui. En ce qui concerne les animaux et plus précisément les primates, prouver la présence de cette faculté ne fut possible que récemment.

   De nombreuses observations suggèrent que les corvidés, notamment le grand corbeau, peuvent prévoir les conséquences de leurs interactions sociales. Des recherches montrent que le comportement des plus jeunes corbeaux diffère de celui de leurs aïeux lorsqu’une carcasse se présente à eux. Les juvéniles produisent un vacarme assourdissant pour inviter d’autres jeunes au repas, multipliant ainsi leur nombre pour assurer une certaine sécurité face aux adultes et autres charognards. Les adultes, au contraire, s’approchent d’une carcasse en couple et restent silencieux pour éviter d’attirer l’attention et par là, la compétition.

   Dans le même registre, des boîtes de couleur furent présentées à deux corbeaux. Le plus jeune parvint rapidement à détecter celles qui contenaient de la nourriture, mais l’adulte dominant, ne voulant pas se fatiguer, attendait que le juvénile trouve la pitance pour s’en  emparer. Celui-ci dut donc recourir à la ruse pour pouvoir s’alimenter : il se dirigea vers les boîtes vides et feignit d’y trouver une ration de nourriture, ce qui attirait le corbeau adulte. Pendant que ce dernier se perdait dans les boîtes vides, le jeune corbeau se régalait !

   Plus intéressant encore : il semble que les corbeaux soient des as de la tromperie. Afin d’évaluer cette faculté, un biologiste américain donna un biscuit à un corbeau rassasié. Celui-ci s’empressa de cacher soigneusement sa provision en essayant d’échapper à l’attention de ses pairs. Sans tarder, un congénère qui avait épié les gestes du corbeau chanceux se précipita vers la cachette, mais revint bredouille. Le premier oiseau avait en réalité déplacé le biscuit à son insu. Cette ruse met en évidence une prédisposition naturelle à s’imaginer l’état d’esprit d’autrui et à agir en conséquence. Elle révèle aussi très probablement que le corbeau tire des leçons de ses expériences sur le terrain : soit il vécut une situation similaire de par le passé, soit il dévalisa lui-même la cachette d’un autre.

Le corbeau en société

   Un corbeau moyen possède une quantité incroyable d’informations sur l’homme, de ses habitudes alimentaires à sa façon de circuler ; mais l’être humain moyen ne connaît que relativement peu d’éléments sur la vie des corbeaux. Ces oiseaux sont les plus communs sur la planète et ils possèdent le plus gros cerveau comparativement aux autres familles d’oiseaux (excepté le perroquet ara). Leur comportement se rapproche donc plus de celui des primates, voire des humains que de celui des autres oiseaux. L’éventail de leurs interactions sociales est large et varié : les corbeaux jouent et chassent en groupe, les adultes enseignent leurs savoir-faire aux plus jeunes, etc., et ils organisent même des mises à mort et des funérailles qui n’ont rien à envier à la maffia.

   Il semblerait que les corbeaux tiennent des jugements respectant les lois de la justice. Leurs « tribunaux » se mettent apparemment en place lorsqu’un corbeau s’accapare le nid ou la compagne d’un autre, ou dérobe la nourriture aux jeunes corvidés. À chaque crime sa sanction. Dans le premier cas, le nid illégalement approprié est détruit et le délinquant sévèrement réprimandé ; il doit également reconstruire un nouveau nid pour celui à qui il a porté préjudice. La sanction de celui qui vole la ration alimentaire des petits consiste à être déplumé par ses pairs jusqu’à ce qu’il ait l’apparence d’un oisillon (qui nait sans plumage) ; parfois, il est même banni du groupe. Quant à celui qui s’empare d’une femelle autre que la sienne, les autres corbeaux s’unissent et mettent fin à ses jours en l’assenant de coups de becs.

   Ces procès à l’organisation remarquable se tiennent dans des espaces ouverts comme des champs. Les corbeaux qui précèdent leurs congénères attendent le reste du groupe ; cela peut prendre plusieurs jours. Pendant ce temps, il semblerait que le criminel soit étroitement surveillé. Lorsque l’assistance est au complet, le procès commence : les corbeaux se mettent à croasser, reprochant probablement à l’accusé les méfaits constatés. L’inculpé semble se défendre en croassant à son tour, mais les témoins crient en battant des ailes, mettant fin à toute mauvaise foi. Le responsable finit par se taire et baisser vivement la tête, avouant ainsi son crime.

   Après la mise à mort du coupable, tous les corbeaux s’envolent. Seul un oiseau resterait pour s’occuper de l’inhumation de l’oiseau mort. Pour les corbeaux, la culpabilité ne diminue en rien le respect dû à la dépouille d’un des leurs.

Dans le monde de ces oiseaux exceptionnels, la justice semble être instinctive et absolue.

   Même si ces informations semblent difficilement vérifiables sur le terrain, il est nécessaire de se baser sur le verset coranique cité en amont pour se pencher sérieusement sur la question et prouver scientifiquement les indications coraniques.

   Toutes les expériences et observations menées concernant les corvidés révèlent une forme d’intelligence indubitable. Ils sont capables de constater un fait, de l’analyser et d’ajuster leur comportement face à une situation nouvelle afin de mieux anticiper l’avenir et d’améliorer leur condition. Ces facultés indiquent une flexibilité et une adaptabilité très aiguës. Ils comprennent ce que les autres font, et anticipent leurs intentions : ces aptitudes font amener un biologiste à la conclusion suivante : les corbeaux seraient cotés de conscience !

   Comme le dit si bien le Révérend Henry Beecher : « Si les hommes avaient des ailes et qu’ils portaient des plumes noires, peu d’entre eux seraient assez malins pour être des corneilles. »

   Ce n’est donc pas étonnant que Dieu ait confié à un corbeau la lourde responsabilité d’enseigner à l’homme comment enterrer son frère !

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