L’écologie, une expérience spirituelle (4/4) : les sanctions juridico-religieuses

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  Après la phase préventive par l’éducation spirituelle, le volet juridico-religieux constitue le deuxième niveau d’intervention de l’Islam pour sauvegarder, promouvoir et exploiter l’environnement de la meilleure façon qui soit. La sévérité des sanctions prises pour protéger l’environnement de la pollution sont fonction du degré de gravité des nuisances.

Les condamnations peuvent se traduire par l’interdiction, voire la suppression de toutes les matières polluantes quand bien même elles émaneraient d’une mosquée. Le jugement est basé sur deux principes : « Ni léser ni être lésé » et « La sécurité avant l’intérêt ».

   Pour apprécier l’ampleur du dommage subi lors d’une pollution, les docteurs en droit d’obédience mâlikite distinguent deux catégories de préjudice : le préjudice temporaire et le préjudice permanent. Ce dernier cas se subdivise en deux types :

1. Le préjudice résultant de l’activité d’une structure industrielle installée longtemps avant l’établissement sur les lieux des parties lésées. En l’espèce, les érudits s’accordent pour donner la priorité à la structure industrielle, car son installation précède l’apparition de la partie lésée.

2. Le préjudice occasionné par des structures polluantes installées sur le tard dans une agglomération et dont l’activité s’est longtemps poursuivie avant que les habitants ne s’en plaignent. Deux cas de figures se présentent alors :

   Cessation des activités polluantes quand la pollution qui en émane est fortement préjudiciable à la population (fumées des bains et des fours par exemple).
Maintien des sources polluantes quand la pollution qui en émane n’est que légèrement préjudiciable à la population qui peut, au demeurant, s’y adapter (les fumées provenant des cuisines par exemple).

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Le premier tribunal statuant sur les problèmes de l’environnement fut instauré sous le califat de ‘Omar Ibnou Al-Khattâb  ; celui-ci et Abdour-Rahmâne Ibnou ‘Awf  en furent les premiers magistrats : un jour, un homme se présente devant le calife ‘Omar et lui dit : « Alors que je faisais courir mes deux chevaux en compagnie de mon ami, nous avons tué une gazelle sur le talus de Thinia alors que nous étions en état de sacralisation ; qu’en pensez-vous ? » Le calife ‘Omar s’adressa à un homme qui était à ses côtés et l’invita à statuer avec lui. L’homme qui a tué la gazelle fut condamné à sacrifier une chèvre. Ce dernier s’en alla en s’indignant : « L’Émir des croyants ne pouvait rendre son jugement sans l’aide de quelqu’un ! ». Ayant entendu cette réflexion, le calife ‘Omar le rappela en lui demandant : « As-tu l’habitude de lire sourate Al-Mâ’ida ? » « Non ! », répondit l’individu. « Et connais-tu l’homme qui a rendu le jugement avec moi ? » demanda le calife.  “Non !” répliqua l’administré. Et le calife de rétorquer : « Si tu m’avais répondu par l’affirmative, je t’aurais rossé, car dans Son Saint Livre Dieu dit : “Celui qui parmi vous en tuerait intentionnellement (du gibier) enverra en offrande à la Ka‘ba, comme compensation, un animal de son troupeau équivalant au gibier tué, d’après la décision de deux hommes intègres d’entre vous.” » Et d’ajouter : « L’homme qui a jugé à mes côtés n’est autre que Abdour-Rahmâne Ibnou ‘Awf. »

D’autres décisions de justice illustrent parfaitement la bonne compréhension de l’esprit des lois islamiques par les juges musulmans en matière de lutte contre la pollution de tout ordre :

Un jour, le qâdî Ibnou Al-Qaçam (mort en 191 H) fut sollicité pour le cas d’un homme empêché par ses voisins de construire un bain maure, un four et un moulin sur un terrain attenant. Suivant le principe qu’il faut sauvegarder la sécurité du voisin et que ces constructions seraient gravement préjudiciables aux plaignants, le juge leur donna raison.

Ce même juge fut interrogé sur le cas d’un homme qui voulait construire une forge, un four pour la fusion de l’or et de l’argent ou creuser un puits ou un lieu d’aisance, ou construire un moulin adjacent au mur des voisins. Il statua une fois de plus en faveur des voisins pour les mêmes raisons suscitées.

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Les docteurs de droit musulman considèrent le bruit comme une source de pollution qu’il faut bannir. Cette nuisance est de deux types : un préjudice à éviter absolument et un préjudice supportable. Pour ce qui est du premier type, dans son ouvrage intitulé Al-i‘lâm bi ahkâmi-l-bayâne, Ibnou Ar-Rami (mort en 179 H) racontait qu’un groupe d’habitants a monté un portail sur le mur d’un voisin pour protéger leur quartier. Mais au bout d’un certain temps, ce voisin ne supportait plus d’entendre le bruit du portail qui s’ouvrait et se fermait sans cesse. Il s’en plaignit au juge. Celui-ci constata que le mur basculait à cause des ouvertures et fermetures incessantes du portail : décision fut prise de démonter le portail. Le deuxième type de nuisance résulte des bruits qui causent un désagrément sans pour autant provoquer de préjudice. En l’espèce, les avis des docteurs de droit islamique sont mitigés.

Le mouhtasib (fonctionnaire chargé de la police des marchés) veillait à interdire les causes de pollution par la poussière, la fumée ou les mauvaises odeurs.

Le Dr Naçr Farid Wassil, ancien mufti d’Egypte, a conseillé d’appliquer des sanctions à l’encontre des fumeurs, après avoir affirmé que fumer est illicite en Islam. De plus, il a, sur les paquets de cigarettes, préconisé l’inscription de la formule « La cigarette est illicite » au lieu de la mention habituelle « La cigarette nuit à la santé ». La dangerosité du tabac tant pour l’homme que pour l’environnement n’est plus à démontrer.

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Epilogue

D’après des données scientifiques, les problèmes écologiques ont commencé à apparaitre avec l’ère industrielle, débutant en Grande-Bretagne au 19ème siècle. Mais le processus s’est accéléré à partir de 1950. A dominante agraire et artisanale, les sociétés des pays optant pour les énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) et la prépondérance de l’industrie pétrochimique se transforment en sociétés commerciales et industrielles. La productivité, la compétitivité et la rentabilité les caractérisent : la loi du marché impose l’exploitation sans frein de toutes les formes d’énergie offerte par la Terre. Pour quels résultats ? Un paradis terrestre pour une minorité des habitants de la planète ; le dur labeur, la pauvreté, la faim, les maladies et la guerre pour la grande majorité des humains. Or, les hommes habitent l’unique et même maison, la Terre, et la préoccupation environnementale est l’affaire de tous. Récemment, les résultats cyniques du sommet de Copenhague (07 décembre 2009) ont été plus que décevants mais prévisibles : les pays riches ne veulent pas perdre leur domination économique sur le reste du monde en réduisant drastiquement leur émission de dioxyde de carbone ; ils ont énormément de difficulté à reconnaitre leur contribution aux dégradations écologiques et manifestent une réticence à réparer, notamment sous forme pécuniaire : leur aide financière proposée aux pays émergents pour lutter contre le réchauffement climatique est conditionnée par une ingérence dans les affaires de ces états.

Alors si une réponse à la question « Est-ce que l’homme s’est montré digne de la charge de gestionnaire de la Terre confiée par Dieu ? » doit être apportée aujourd’hui, elle serait négative.

Mis en lumière, les préceptes islamiques prouvent que les musulmans ont grandement contribué en matière de protection environnementale et ils peuvent encore avoir leur mot à dire pour sortir le monde du marasme écologique avant que la situation ne soit irréversible. L’échec dans la protection de l’environnement de la part du monde musulman actuel n’est pas dû à l’insuffisance des préceptes islamiques, mais à l’éloignement des sources islamiques et à l’alignement sur les modèle d’exploitation de la nature, de production et de consommation aberrants des pays riches. En cela, ils ont pris de la distance avec le juste milieu et la modération prônés par l’Islam, outrepassant leurs droits de gestionnaires de la Terre : la crainte révérencielle de Dieu, de Ses ordres, n’est plus ce qui guide leurs choix de vie. Or, Dieu a dit : « Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Allâh, Il vous accordera la faculté de discerner (entre le bien et le mal), vous effacera vos méfaits et vous pardonnera. Et Allâh est le Détenteur de la grâce infinie. », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.29.

يَـٰٓأَيُّہَا ٱلَّذِينَ ءَامَنُوٓاْ إِن تَتَّقُواْ ٱللَّهَ يَجۡعَل لَّكُمۡ فُرۡقَانً۬ا وَيُكَفِّرۡ عَنڪُمۡ سَيِّـَٔاتِكُمۡ وَيَغۡفِرۡ لَكُمۡ‌ۗ وَٱللَّهُ ذُو ٱلۡفَضۡلِ ٱلۡعَظِيمِ

   Le constat est le suivant : les pays islamiques sont majoritairement ceux qui bénéficient de l’énergie solaire en quantité, et le développement durable est une piste très sérieusement examinée par les écologistes de tout bord. Si Dieu le veut, les musulmans peuvent encore avoir un poids sur l’échiquier du monde en matière de protection de l’environnement. À eux d’entreprendre le nécessaire pour que les valeurs islamiques, la parole de Dieu et le modèle prophétique soient les plus hauts.

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