(6) La purification (4/5):L’ablution sèche («at-tayammoum» «التّيَمُّم»)

Jurisprudence malikite

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Le tayammoum, dit « ablution sèche » ou encore « ablution pulvérale », est une alternative aussi bien à la petite qu’à la grande ablution sous certaines conditions ; il s’effectue sans eau. Sa pratique est mentionnée dans le Coran :

« Si vous êtes malades, ou en voyage, ou revenez de la selle, ou avez touché à des femmes et ne trouvez pas d’eau, utilisez en substitution un sol sain pour en passer sur votre visage et vos mains. », s.5 Al-Mâ’ida (La Table), v.6.

‘Imrâne Ibnou Houçayn rapporte dans quelles circonstances le Prophète a évoqué le recours au tayammoum : « Lorsque la prière fut terminée, on s’aperçut qu’un des fidèles était resté à l’écart et n’avait pas prié. ― Ô un tel, s’écria l’Envoyé de Dieu, qu’est-ce qui t’a empêché d’accomplir la prière avec les autres ? ― J’étais en état d’impureté majeure, répondit l’homme, et je n’avais pas d’eau. ― Il fallait, reprit le Prophète , utiliser un sol sain en remplacement, et cela aurait suffit. » (Rapporté par Al-Boukhârî)
Sa pratique est également reconnue par le consensus communautaire.

Ses conditions

Les conditions du tayammoum sont identiques à celles de la petite ablution, excepté celle relative à l’entrée dans le temps légal de la prière canonique : cette dernière exigence confère au tayammoum à la fois son caractère exigible et sa validité.

Les conditions d’exigibilité (« شُروطُ الوُجوب : chouroûtou-l-woujoûb ») qui rendent le tayammoum obligatoire pour le croyant sont :
1 – être pubère ;
2 – avoir la capacité de faire l’ablution sèche ;
3 – être en état d’impureté mineure ou majeure.

Les conditions exigées pour sa validité (« شُروطُ الصِّحَّة : chouroûtou-ç-çihha ») :
1 – la personne qui accomplit le tayammoum doit être musulmane. Cette condition s’applique également à tous les actes cultuels (prière, jeûne, pèlerinage et aumône purificatrice) ;
2 – aucun corps tels que le vernis, la peinture ou la cire ne doit empêcher l’eau de mouiller les parties du corps concernées par l’ablution sèche (visage et mains jusqu’aux poignets).
3 – aucune circonstance annulant l’ablution sèche ne doit survenir pendant son accomplissement, sauf pour les personnes excusées (cas d’incontinence).

D’autres conditions relèvent à la fois de l’exigibilité et de la validité de l’ablution sèche. Il faut :
1- que le temps légal de la prière obligatoire du moment (prière canonique) soit en cours. D’après ‘Amr Ibnou Chou‘ayb le Prophète a dit : « À mon attention, la terre a été rendue pure et propre pour prier dessus ; là où la prière me rattrape, je fais l’ablution sèche et je prie. » (Rapporté par Ahmad)

Si le croyant manque une de ses cinq prières, au moment où il s’en rappelle pour l’accomplir, il doit faire l’ablution sèche. De ce fait, celui qui a fait l’ablution sèche pour accomplir la prière de l‘ichâ’ et se rappelle ensuite avoir manqué celle d’al-maghrib, il doit renouveler son ablution sèche en vue d’accomplir la prière d’al-maghrib ;
2 – que le fidèle possède la raison ;
3 – que la femme ne soit pas en état de menstrues ou de lochies ;
4 – qu’il ou elle ait à disposition une quantité de terre (ou équivalent) pure.

Quelles sont les raisons légales qui permettent de recourir au tayammoum ?

Certaines circonstances font office d’excuses légales justifiant l’utilisation du tayammoum. Pour que le musulman ait recours à cette pratique, il est impératif :
1 – qu’il ne dispose pas d’eau ou pas en quantité suffisante pour effectuer les petite ou grande ablutions, et ce, après tenter d’en trouver en marchant pendant une demi-heure (ou l’équivalent de 3 218 m). Ibnou ‘Âchir précise que celui qui pense trouver de l’eau avant la fin du temps légal (ikhtiyârî : إِخْتِيَارِي) devra retarder son tayammoum et sa prière jusqu’à la fin du temps ; celui qui désespère d’en trouver devra effectuer le tayammoum et la prière au début du temps ; enfin, celui qui n’est pas sûr d’en avoir devra faire le tayammoum et la prière au milieu du temps ikhtiyârî ;
2 – qu’il ait trouvé de l’eau, mais qu’y accéder est impossible (aller la chercher mettrait sa vie en péril ou bien il ne dispose pas des outils nécessaires pour puiser cette eau d’un puits par exemple).
3 – qu’il ait peur, en faisant l’ablution avec de l’eau, de tomber malade ou d’aggraver sa maladie ou encore de proroger sa guérison. Jâbir rapporte : « Nous étions en expédition militaire. L’un d’entre nous fut gravement atteint à la tête par une pierre. Comme le blessé avait eu des pollutions nocturnes (éjaculation suite à un rêve érotique) dans la nuit qui avait suivi, il demanda : « Qu’en pensez-vous, m’est-il permis de faire l’ablution sèche (à la place de la grande ablution) ? ». On lui répondit que non, puisqu’il avait de l’eau à disposition. L’homme fit donc sa grande ablution et en mourut. Lorsque nous rentrâmes de l’expédition, le Prophète fut informé de l’affaire. ― « Ils l’ont tué ! s’écria-t-il. Qu’ils soient tués à leur tour ! Que ne se sont-ils enquis de ce qu’ils ignorent, tant il est vrai que le remède contre l’ignorance est de poser des questions ! Il aurait suffit à ce malheureux de faire l’ablution sèche, de passer la main mouillée sur le pansement et de laver le reste du corps. » » (Sounan Abî Dâwoûd)
Dans ce cas bien précis, le croyant se fiera à sa propre expérience, à celle d’un coreligionnaire, à l’avis d’un médecin musulman compétent, ou à celui d’un médecin non musulman qualifié.

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4 – qu’il craigne, en utilisant l’eau qu’il possède, la souffrance ou la mort dues à la soif, que ce soit pour lui-même ou pour autrui (y compris les animaux d’usage permis). La solution est de réserver cette eau pour la consommation et d’avoir recours au tayammoum.
5 – qu’il pense, en s’ablutionnant à l’eau (petite ou grande ablution), ne pas pouvoir effectuer un cycle complet de sa prière canonique dans son temps légal. S’il estime lui rester assez de temps pour accomplir un cycle complet en s’ablutionnant à l’eau, qu’il le fasse mais en n’effectuant que les actes obligatoires de l’ablution.
En revanche, celui qui pense rater la prière en commun du vendredi n’est pas autorisé à avoir recours au tayammoum puisqu’il lui est toujours possible d’effectuer en substitution la prière du dhor individuellement (selon l’avis le plus répandu le l’école mâlikite).
6 – qu’il n’ait à sa portée que de l’eau glacée ou brûlante et qu’il craigne, en s’ablutionnant avec, qu’elle nuise gravement à sa santé. ‘Amr Ibnou-l-‘Âç rapporte : « Lors de la campagne militaire de Dhât as-Salâsil, je m’étais réveillé avec des pollutions nocturnes par une nuit glaciale, et je craignais de mourir de froid en faisant la grande ablution. Je me contentai donc de l’ablution pulvérale et présidai la prière de l’aube avec mes compagnons d’armes. Quelque temps plus tard, ces compagnons informèrent le Prophète de ces événements. ― « Ô ‘Amr, me dit le Prophète, j’apprends que tu as présidé la prière de tes Compagnons en état d’impureté majeure ! » Je lui précisai alors les raisons qui m’avaient empêché de faire la grande ablution. Puis je lui dis : « J’ai entendu Dieu dire : « Ne vous tuez pas ! ― Dieu vous soit Miséricordieux », [s.4 An-Nisâ’ (Les Femmes), v.29]. À ces mots, l’Envoyé de Dieu (pbdsl) se mit à rire et il ne me blâma pas. » (Rapporté par Aboû Dâwoûd)

À noter que la femme qui s’est purifiée par le tayammoum après les menstrues ou les lochies doit s’abstenir de tout rapport sexuel avec son époux, jusqu’à ce qu’elle trouve de l’eau pour effectuer la grande ablution.

Quels sont les actes obligatoires du tayammoum ?

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1 – formuler l’intention d’effectuer les gestes obligatoires de l’ablution sèche au moment de poser les mains une première fois sur le sol. Il est néanmoins permis de formuler l’intention au moment de passer les mains sur le visage (conformément à l’avis le plus probant de l’école) ;
2 – poser les mains sur le sol une première fois ;
3 – passer les mains sur l’ensemble du visage : il n’est pas nécessaire d’insister sur les détails (sourcils, nez, yeux) comme dans la petite ablution. Le barbu doit passer les mains sur l’ensemble de sa barbe ;
4 – passer la main droite sur toute la main gauche et vice-versa jusqu’aux poignets. Il est impératif de retirer les bagues des doigts. Il est également obligatoire de se frotter entre les doigts avec la partie intérieure des doigts de l’autre main ;
5 – enchaîner les gestes du tayammoum de sorte qu’aucun laps de temps ne fragmente l’ablution sèche. En outre, le fidèle doit obligatoirement accomplir sa prière immédiatement après avoir fait l’ablution pulvérale ;
6 – utiliser un sol pur. Allâh dit dans le Coran : « […] faites des ablutions symboliques avec un sol sain (صَعيِدًا طَيِّبًا), en vous en essuyant le visage et les mains […] », s.5 Al-Mâ’ida (La Table), v.6. Il s’agit de toute matière naturelle présente à la surface du sol comme la terre, le sable, la pierre, le minerai, la terre saline, etc. Cela dit, utiliser de la terre ordinaire pulvérulente (التُّراب), exempte d’impureté, est préférable. À défaut de trouver les matières susmentionnées, le musulman peut se servir d’autres substances :
– la neige ;
– la boue ;
– la poussière de la pierre à plâtre qui n’a pas subi de calcination ;
– les substances minérales brutes (sauf minerais pulvérulents d’or ou d’argent) ;
– les matières extraites de leurs gisements et utilisées pour la vie courante.

En revanche, l’ablution sèche ne peut s’effectuer avec :
– de l’alun ;
– du sel ou des substances similaires extraites de leurs gisements et utilisées dans la vie courante ;
– des poudres d’émeraude ou de rubis ;
– du cuivre ;
– des minerais pulvérulents d’or ou d’argent ;
– des matières végétales (bois, fibres d’une natte).

Quels sont les gestes vivement recommandés (as-sounan : السُّنَن ) de l’ablution pulvérale ?

1- effectuer les gestes de l’ablution sèche dans l’ordre mentionné dans le Coran : « […] faites des ablutions symboliques avec un sol sain (صَعيِدًا طَيِّبًا), en vous en essuyant le visage et les mains […] », s.5 Al-Mâ’ida (La Table), v.6 ;
2- poser les mains sur le sol une deuxième fois pour frotter les mains ;
3- passer les mains des poignets jusqu’aux coudes ;
4- passer les mains sur le visage directement après avoir touché le sol, puis directement du visage aux mains. Cette recommandation n’exclut pas la possibilité de secouer les mains pour éliminer ce qui pourrait y adhérer.

Le tayammoum en pratique

D’après Ibnou Abî Zayd Al-Qayrawânî, l’ablution sèche se déroule comme suit : « Le fidèle posera les mains sur la terre; si quelque chose adhère à celles-ci, il les secouera légèrement [pour faire tomber la poussière], puis il se les passera sur tout le visage en frottant légèrement; puis il les posera à nouveau sur le sol et passera sa main droite sur sa main gauche. Les doigts de cette dernière étant placés sur les extrémités des doigts de l’autre, il passera ses doigts sur le dos de la main et sur l’avant-bras en les repliant sur celui-ci et il devra prolonger ce geste jusqu’au coude (al-marfiq : المَرْفِق). Puis il saisira avec la main la face interne de l’avant-bras à partir du pli du coude et glissera jusqu’au poignet (al-koû’ : الكُوع) de la main droite. Puis il se passera la face interne du pouce gauche sur la face externe du pouce droit. Il fera les mêmes opérations pour la main gauche avec la main droite. Ayant atteint le poignet, il se frottera le creux de la main droite avec le creux de la main gauche jusqu’aux extrémités des doigts. S’il se frottait [d’abord] la droite avec la gauche, puis la gauche avec la droite, ad libitum [à volonté] et comme cela lui est le plus commode, pourvu que le frottement porte sur toutes les parties prescrites, cela serait valable et suffisant. »

Quelles sont les causes qui annulent l’ablution sèche ?

L’ablution sèche devient caduque :
1- dans les mêmes circonstances que la petite ablution (cf. La petite ablution pour plus de détails) : l’émission par les voies naturelles d’excréments, d’urine ou de gaz intestinaux ; la perte de la raison ; le fait de toucher une personne attisant d’ordinaire le plaisir charnel ; le fait de toucher sa verge avec la main ; l’apostasie et enfin le doute concernant l’état de pureté mineure.
2- dès lors que la raison légale justifiant le recours au tayammoum n’est plus, comme le fait de trouver, après avoir cherché en vain, assez d’eau pour faire la petite ablution. Il faut néanmoins que la raison légale perde sa validité avant que la prière ne soit entamée et qu’il reste suffisamment de temps pour effectuer l’ablution à l’eau et un cycle complet de prière.Si le croyant (qui a eu recours au tayammoum) trouve de l’eau pendant qu’il prie, il n’est pas tenu de recommencer sa prière, qui reste valable. Aussi, s’il trouve de l’eau après la prière qu’il vient d’accomplir et ce durant le temps légal de cette prière canonique, il n’est pas tenu de refaire cette prière qui est valable.
Si le fidèle qui a fait son ablution sèche trouve de l’eau juste avant d’accomplir sa prière, mais qu’il ne dispose pas d’assez de temps pour effectuer son ablution à l’eau et réaliser un cycle complet de prière en son temps, son ablution sèche n’est pas invalidée.
3- si un laps de temps sépare l’ablution sèche de l’accomplissement de la prière.

Combien de prières peut-on accomplir à la suite d’une ablution sèche ?

Le tayammoum n’est valable que pour une seule prière canonique (fajr, dhohr, ‘asr, maghreb, ‘icha’). Par conséquent, le croyant est tenu de recommencer son ablution sèche à chaque fois qu’il doit effectuer une des cinq prières obligatoires.

On rapporte cependant, selon l’imâm Mâlik, que celui qui se rappelle avoir oublié des prières peut les rattraper avec un seul tayammoum pour réparer cette omission.L’ablution pulvérale reste valide pour accomplir un nombre indéterminé d’actes surérogatoires (lire le Coran, nawâfil, etc.), tant qu’ils sont effectués après une prière obligatoire. Si le fidèle désire faire des prières surérogatoires avant une prière canonique, il devra refaire son ablution sèche avant d’accomplir cette dernière, car une ablution pulvérale réalisée pour des actes surérogatoires n’est pas valide pour une prière obligatoire.

Madéfaction ou tayammoum ?

S’il existe un risque d’aggraver une blessure ou d’en freiner la guérison en la lavant, le fidèle peut avoir recours à la madéfaction de la partie atteinte (passer les mains mouillées dessus). Si cette pratique présente cependant les mêmes risques que le lavage à l’eau, il est possible d’appliquer des attelles, voire des bandages sur les attelles et de passer les mains mouillées dessue

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En faisant la petite ou grande ablution, il est possible de passer les mains mouillées sur les parties malades et de laver les saines comme à l’habitude. Dans les cas où l’ablution à l’eau est préjudiciable, seule l’ablution sèche s’impose au musulman.

Si les traumatismes ne peuvent être touchés et qu’ils se situent sur les parties concernées par l’ablution sèche (le visage ou les mains), le fidèle ne pratiquera ni lavage, ni madéfaction dessus ; il se contentera de faire l’ablution sur les organes sains. Si les blessures que l’on ne peut toucher ne se situent pas sur les parties soumises à l’ablution pulvérale, mais sur les membres concernés par la petite ablution, il est nécessaire de faire l’ablution sèche dans le cas où ces blessures occupent la majeure partie du membre à ablutionner ; sinon, le croyant lave les membres sains et fait l’ablution sèche sur ceux malades.

Lorsque le fidèle est rétabli de ses blessures, il est tenu de refaire la dernière ablution complète qu’il a effectuée juste avant l’apparition de son affection. En effet, la madéfaction n’est qu’un palliatif de l’ablution (grande ou petite) : le fidèle ne retrouve réellement un état de pureté qu’après s’être ablutionné complètement par lavage à l’eau.

Dans quelles circonstances la madéfaction des blessures et des attelles s’annule-t-elle ?

Dès que le fidèle retire les attelles ou les bandages (pour renouveler son pansement par exemple) ou bien qu’ils tombent ― même durant la prière ―, l’ablution sèche et la prière deviennent caduques. Il n’y a d’autre possibilité que d’interrompre la prière, replacer les contentions tombées et recommencer la madéfaction et la prière.

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