(6) Les causes de la révélation –

Sciences du coran

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   Le Coran fut révélé au Prophète Mouhammad  pour guider l’humanité dans la voie du juste milieu jusqu’à la fin des temps. Durant les vingt-trois années de prophétie, certains versets étaient transmis à l’Envoyé de Dieu en des circonstances et des moments bien précis.

Connaître les événements liés à la révélation de certains passages coraniques revêt une importance capitale dans la compréhension de ces versets. Un des plus illustres spécialistes de cette discipline des sciences du Coran, Al-Wâhidî (m.468 H/1075), exprime clairement cette corrélation dans ses écrits : « Une connaissance correcte et juste des significations des versets n’est possible qu’en se souciant de leur analyse historique et de l’explication des causes de leur révélation. »

   Plus précisément, cette connaissance permet de déterminer :

– le sens et l’incidence directe d’un verset tel qu’il fut compris lors de sa révélation ;

– la cause immédiate qui caractérise une loi ;

– l’objectif particulier du passage coranique ;

– si la signification du verset a une portée spécifique ou générale et le cas échant, quelles sont les conditions de son application ;

– le contexte historique relatif à l’époque du Prophète SAW et l’évolution de la situation des premiers musulmans.

Les récits

   Les circonstances de révélation les plus répandues ont été rapportées par les Compagnons du Prophète . Les récits sont pris en compte uniquement dans le cas où ils sont authentiques (çahîh). Une autre condition de l’acceptation d’un compte-rendu réside en la présence de l’auteur du rapport lors de la révélation. Certains récits dont la chaîne de transmission s’arrête aux successeurs (tâbi‘oûn) sont néanmoins acceptés dès lors que ces derniers sont d’éminents savants reconnus pour leur savoir, leur respectabilité et leur fréquentation assidue des Compagnons du Messager d’Allâh. Il s’agit par exemple de Moujâhid, ‘Ikrima, Sa‘îd Ibnou Joubayr, Qatâda, etc. Il est donc impératif de connaître l’identité de celui qui rapporte l’événement, de savoir s’il a assisté à la révélation du ou des versets et qui transmet les faits à la postérité.

    Il existe deux genres de récits relatifs aux causes de la révélation de certains versets. Se distinguent d’une part les rapports sûrs et authentiques dans lesquels le narrateur affirme clairement que  l’événement en question est bien le motif de la révélation. D’autre part, lorsque le narrateur des comptes-rendus ne signale pas explicitement que l’incident rapporté est la cause de la révélation, mais qu’il en suggère seulement la possibilité, il s’agit alors de récits probables.

Les causes illustrées

Les causes de révélation de certains versets sont diverses. Elles forment néanmoins trois grandes catégories.

1 – Un événement précis

D’après Sa‘îd Ibnou Joubayr, lorsque le Prophète monta sur Aç-Çafâ et lança un appel aux  Qoraychites pour leur faire part du châtiment qui les attend s’ils ne suivent pas l’Islam, Aboû Lahab – le plus acharné des adversaires du Prophète  – s’écria : « Est-ce pour cela que tu nous as rassemblés ! Puisses-tu périr ! »

En réponse à ces paroles, Dieu révéla sourate 111 Al-Massad en intégralité : « Périssent les deux mains d’Aboû Lahab ! Et que lui-même périsse ! […] » [Rapporté par Al-Boukhârî.]

2 ­– Une question posée :

– Question précise adressée au Prophète . Les musulmans n’hésitaient pas à interroger l’Envoyé de Dieu concernant le crédo et la conduite à suivre en Islam. Ainsi, Jâbir rapporte : « […] Je questionnai le Prophète  : “Ô Envoyé de Dieu, que m’ordonnes-tu de faire de mon bien ?” » C’est alors que Dieu révéla les règles propres à l’héritage destiné aux enfants dans le verset 11 de sourate 4 An-Nissâ’.

– Question particulière posée par le Prophète. En d’autres circonstances, c’est le Messager qui soulevait des questions. Selon Ibnou ‘Abbâs, le Prophète interrogea l’ange Jibrîl comme suit : « Qu’est-ce qui t’empêche de nous visiter plus souvent que tu ne le fais ? » La réponse fut révélée par la parole divine : « Nous ne descendons que sur l’ordre de ton Seigneur à Qui appartient ce qui est devant nous, derrière nous et entre les deux. Ton Seigneur n’oublie rien. », s.19 Maryam, v.64. [Rapporté par Al-Boukhârî.]

– Question générale formulée par la communauté. Thâbit rapporte d’Anas que les Compagnons questionnèrent le Prophète au sujet des femmes indisposées, voyant que les juifs ne vivaient plus avec elles durant la période menstruelle. Dieu déclara alors : « Et ils t’interrogent sur les menstrues. Dis : “C’est un mal. Eloignez-vous donc des femmes pendant les menstrues, et ne les approchez que lorsqu’elles sont pures […]” », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.222. Le Prophète  explicita ces paroles divines : « Faites tout sauf les rapports. » [Rapporté par Mouslim.]

3 – D’autres raisons connues

   Il arrive également qu’une règle générale tirée du Coran fût révélée au départ pour répondre à la situation d’une personne en particulier. C’est le cas par exemple d’une partie du verset 196 de sourate Al-Baqara : « Et accomplissez pour Allâh le pèlerinage et la ‘Omra. Si vous en êtes empêchés, alors faites un sacrifice qui vous soit facile. Et ne rasez pas vos têtes avant que l’offrande [l’animal à sacrifier] n’ait atteint son lieu d’immolation. Si l’un d’entre vous est malade ou souffre d’une affection de la tête (et doit se raser), qu’il se rachète alors par un jeûne ou par une aumône ou par un sacrifice […] ». Ka‘b Ibnou ‘Oujra explique que ces paroles le concernaient directement : « J’avais des poux dans la tête et je l’ai mentionné au Prophète  qui me dit : “Rase ta tête et compense en jeûnant trois jours, ou en faisant un sacrifice, ou en nourrissant six pauvres, pour chacun un çâ‘.” » [Rapporté par Mouslim.]

   Certains versets se rapportent personnellement au Prophète . Selon Sa‘d Ibnou Joubayr, Ibnou ‘Abbâs expliqua : « Lorsque Jibrîl apportait la révélation, l’Envoyé de Dieu remuait en même temps sa langue et ses deux lèvres, et cela lui [Prophète] était pénible. On reconnaissait à cela qu’il venait de recevoir la révélation. Dieu révéla : “Ne remue pas ta langue pour hâter sa récitation : son rassemblement (dans ton cœur et sa fixation dans ta mémoire) Nous incombe, ainsi que la façon de le réciter. Quand donc Nous le récitons, suis sa récitation. ” [s.75 Al-Qiyâma (La Résurrection), v.15-18.] » Ibnou ‘Abbâs ajouta : « Quand Jibrîl était parti, le Prophète  récitait la révélation telle que Dieu le lui avait promis (dans ce verset). »  [Rapporté par Al-Boukhârî.]

Une cause, plusieurs révélations

   Parfois, plusieurs révélations peuvent répondre à une même cause. Oumm Salama demanda un jour au Prophète : « Pourquoi est-il seulement fait référence aux hommes dans le Coran quant à la récompense ? » D’après Al-Hâkim, At-Tirmidhî, An-Nassâ’î et Sa‘îd Ibnou Mansoûr, trois versets furent révélés dans cet ordre pour répondre à cette question :

1 – « Ne convoitez pas ce qu’Allâh a attribué aux uns d’entre vous plus qu’aux autres ; aux hommes la part qu’ils ont acquise, et aux femmes la part qu’elles ont acquise. Demandez à Allâh de Sa grâce. Car Allâh, certes, est Omniscient. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.32.

2 – « Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes véridiques et les femmes véridiques, les endurants et les endurantes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui jeûnent, ceux et celles qui sont chastes, ceux et celles qui invoquent souvent Allâh : Allâh a préparé pour eux un pardon et une énorme récompense. », s.33 Al-Ahzâb (Les Coalisés), v.35.

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3 – « Leur Seigneur a répondu à leur appel : “En vérité, Je ne perds pas de vue l’œuvre de celui qui fait du bien, qu’il soit homme ou femme, car vous êtes issus les uns des autres. Ceux qui ont donc émigré, qui ont été expulsés de leur demeures, qui ont été persécutés pour Ma cause, qui ont combattu, qui ont été tués, Je tiendrai certes pour expiées leurs mauvaises actions, et les ferai entrer dans les jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, comme récompense de la part d’Allâh.” Et c’est auprès de Dieu qu’est la plus belle récompense. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.195.

   Ainsi, ces trois versets prouvent formellement que la femme sera récompensée pour ses bonnes actions au même titre que l’homme.

Une révélation, plusieurs causes

   À l’inverse, plusieurs causes peuvent être à l’origine d’une même révélation. Le verset 113 de sourate 9 entre dans cette catégorie. Il fut révélé à l’occasion de la mort de l’oncle du Prophète, alors que celui-ci avait déclaré : « Je ne cesserai d’implorer Dieu pour ton pardon, tant qu’on ne m’aura pas interdit de le faire. » Allâh  lui transmit ces paroles : « Il ne convient ni au Prophète, ni aux croyants d’implorer le pardon en faveur des polythéistes, fussent-ils leurs proches, dès lors qu’il leur apparaît clairement qu’ils seront des hôtes de l’enfer. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.113. [Authentifié par Al-Boukhârî.]

   D’autres récits montrent que ce verset fut également révélé lorsque le Prophète visita la tombe de sa mère et qu’il demanda à Dieu la permission de prier pour le salut de sa génitrice. Dieu exprima son désaccord à travers ce même verset.

   Lorsque différentes causes sont à l’origine d’une même révélation, les narrateurs rapportent les circonstances auxquelles ils ont assistées précisément. De ce fait, les divers récits relatifs à une seule et même révélation doivent être étudiés selon les règles propres aux sciences du Hadîth, de manière à déterminer celui qui est le plus probant.

    At-Tirmidhî rapporte d’Ibnou ‘Abbâs que les Qoraychites demandèrent aux juifs de leur suggérer une question qu’ils pourraient soumettre au Prophète . Ces derniers lui proposèrent de le questionner au sujet de l’âme. C’est alors que fut révélé le verset 85 de sourate 17.

    Al-Boukhârî, quant à lui, relate ces paroles d’Ibnou Mas‘oûd : « Alors que j’étais dans un champ avec le Prophète  qui s’appuyait sur un bâton de palmier, des juifs passèrent et se dirent les uns aux autres : “Si nous l’interrogions sur l’âme ?”, “À quoi bon ?” demandèrent les uns. “Ne lui demandez rien pour qu’il ne vous réponde pas par quelque chose de désagréable”, répliquèrent les autres. Ils se décidèrent enfin à questionner le Prophète au sujet de l’âme. L’Envoyé de Dieu ne répondit rien. Je compris qu’il était en train de recevoir une révélation et je me tins donc à l’endroit où j’étais. Quand la révélation eut lieu, le Prophète dit : “Et ils t’interrogent au sujet de l’âme, – Dis : ‘L’âme relève de l’Ordre de mon Seigneur’. Et on ne vous a donné que peu de connaissance.”, [s.17 Al-Isra’ (Le Voyage nocturne), v.85.] »

   Ce second récit est considéré plus sûr que le premier, car son narrateur Ibnou Mas‘oûd affirme avoir été présent lors de la révélation. Ibnou ‘Abbâs, qui appartient à la génération des jeunes Compagnons, ne fait que relater un événement auquel il n’a pas assisté.

Une implication spécifique ou générale ?

   Lorsque les causes de révélation sont connues, il reste encore à déterminer si la révélation s’applique uniquement au cas précis auquel elle se rapporte ou bien si elle a une portée générale et concerne tous les musulmans quelle que soit leur époque. L’exemple du verset 38 de sourate 5 Al-Mâ’ida (La Table servie) est éloquent : « Au voleur et à la voleuse, coupez les mains en sanction du méfait commis. Telle est la peine édictée par Dieu. Allâh est Puissant et Sage. »

   Ce passage se rapporte directement à une personne déterminée qui a dérobé une pièce d’armure et qui fut punie en conséquence. Il s’avère néanmoins que la règle énoncée par le verset concerne tous les musulmans jusqu’à la fin des temps.

Cause de révélation ou pas ?

   Certains versets mentionnent des événements historiques. Les informations relatives à ces épisodes éclairent le lecteur sur leurs origines mais ne font pas partie des causes de révélation. Il en est ainsi pour le verset suivant : « N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi envers les gens de l’Éléphant ? », s.105 Al-Fîl (L’Éléphant), v.1. Même si le contexte historique fait référence à un moment précis dans le temps, il n’est en aucun cas la cause de la révélation de ce verset.

   Le domaine de la détermination des causes de la révélation de certains versets s’avère extrêmement important pour connaître, comprendre et expliquer la révélation coranique. Bien que des circonstances particulières se rattachent à la révélation d’une grande partie du Coran, il est nécessaire de distinguer les versets qui ne concernent que l’incident pour lequel ils ont été révélés de ceux qui ont une portée générale. La branche qui traite des causes de la révélation est donc étroitement liée aux autres spécialités des sciences du Coran. C’est finalement la mise en commun de toutes les informations relatives à un verset qui permettra d’appréhender au mieux ses spécificités et son implication.

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