(7) Les motifs de la révélation

Sciences du coran

   Le Saint Coran fut révélé comme guide pour toute l’humanité, quelles que soient l’époque et/ou la conjoncture. De nombreux versets furent communiqués sans raison spécifique, tandis que certains furent annoncés dans des circonstances bien particulières.

   « ma‘rifat asbâb an-nouzoûl : مَعْرِفَة أَسْباب النُّزول » est une branche des sciences du Coran spécialisée dans la connaissance des différentes causes de la révélation. Elle s’inscrit dans une étude déterminative des situations et des événements précis qui ont conduit au dévoilement des paroles divines. Cette discipline permet de mieux comprendre les raisons de la révélation et la portée des versets en question. Grâce à cette compréhension, l’exégèse est mieux orientée et l’application des prescriptions gagne en intelligibilité quant à sa mise en pratique dans d’autres circonstances.

L’importance de cette spécialité est significative dans la compréhension de plusieurs éléments :

– le sens et l’incidence directs d’une révélation considérée dans son contexte original ;

– la cause immédiate de la prescription d’un principe juridique ;

– la finalité initiale du verset ;

– le caractère général ou particulier du sens de la révélation et dans quelles conditions elle est applicable ;

– le contexte historique dans lequel s’est développée la première génération de musulmans aux côtés du Prophète  ;

– la sagesse divine qui se cache derrière certaines prescriptions.

   Un exemple illustre parfaitement l’intérêt de connaître les causes de la descente de certains versets : « À Allâh seul appartiennent l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face d’Allâh est donc là, car Allâh a la grâce immense ; Il est Omniscient. », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.115.

وَلِلَّهِ ٱلۡمَشۡرِقُ وَٱلۡمَغۡرِبُ‌ۚ فَأَيۡنَمَا تُوَلُّواْ فَثَمَّ وَجۡهُ ٱللَّهِ‌ۚ إِنَّ ٱللَّهَ وَٲسِعٌ عَلِيمٌ۬

   De prime abord, il semblerait que le musulman puisse prier dans n’importe quelle direction. Or, il est unanimement reconnu que l’orant doit se diriger vers la qibla, faute de quoi sa prière serait caduque. Al-Wâhidî, dans son œuvre intitulée Asbâb an-nouzoûl, explique que plusieurs Compagnons en voyage avaient prié durant une nuit fuligineuse sans savoir exactement où se trouvait la Mecque. Prenant conscience de leur erreur un peu plus tard, ils questionnèrent le Messager  sur ce point dès qu’ils en eurent l’occasion. Le Prophète  se garda de répondre avant la révélation du verset en question. Par conséquent, ces paroles divines se justifient dans un contexte très précis et les savants se basent dessus pour excuser l’orant qui ne pourrait localiser la qibla.

Les récits afférents à la révélation

   Les causes de révélation les plus célèbres furent rapportées par les Compagnons. Outre leur véridicité, la présence des Compagnons lors de l’événement à l’origine de la révélation est une condition supplémentaire pour garantir l’authenticité du récit. Les narrations des successeurs qui ne mentionnent pas le Compagnon présent à l’occasion de la descente des versets ne peuvent être retenues, à l’exception de celles rapportées par d’illustres hommes de sciences ayant fréquenté les Compagnons du Prophète , comme Moujâhid, ‘Ikrima, Sa‘îd Ibnou Joubayr, Qatâda, etc.

Par ailleurs, les récits relatifs à la révélation se divisent en deux catégories :

– les rapports garantissant l’événement exposé comme étant la cause certaine de la révélation ;

– les narrations présentant les circonstances mentionnées comme étant une cause probable de la révélation.

De même, différents types de causes peuvent être à l’origine de la révélation.

1. En réponse à un événement

   Sa‘îd Ibnou Joubayr a rapporté d’après Ibnou ‘Abbâs  que le Prophète  a rassemblé les Qoraychites à Balthâ’, et s’adressa à eux : « Pensez-vous que si je vous informais que l’ennemi vous attaquera ce matin ou ce soir, vous ajouteriez foi à mes paroles ? – Oui, répondirent-ils. – Eh bien, je vous avertis qu’il y a devant vous un châtiment terrible. » C’est alors qu’Aboû Lahab s’écria : « Est-ce pour cela que tu nous as rassemblés ! Puisses-tu périr ! »

   Suite à cet échange, Allâh  révéla quelques versets : « Périssent les deux mains d’Aboû Lahab ! Et que lui-même périsse ! … », s.111 Al-Masad (Les Fibres).

   Avec cette sourate, Dieu répondit donc directement aux paroles invectives de ce farouche ennemi de l’Islam.

2. En réponse à un contexte précis

   ‘Orwa Ibnou Az-Zoubayr s’était renseigné auprès de ‘Â’icha  au sujet de ce verset : « Aç-çafâ et Al-marwa sont vraiment parmi les lieux sacrés d’Allâh. Donc, quiconque fait pèlerinage à la Maison ou fait la ‘omra ne commet pas de péché en faisant le va-et-vient entre ces deux monts. […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.158.

[…]  إِنَّ ٱلصَّفَا وَٱلۡمَرۡوَةَ مِن شَعَآٮِٕرِ ٱللَّهِ‌ۖ فَمَنۡ حَجَّ ٱلۡبَيۡتَ أَوِ ٱعۡتَمَرَ فَلَا جُنَاحَ عَلَيۡهِ أَن يَطَّوَّفَ بِهِمَا‌ۚ

   La Mère des croyants lui expliqua que les Ançâr pratiquaient la talbiya à Manât, qui se situait en face de Qodayd avant leur conversion. Craignant que cette pratique soit interdite aux yeux de l’Islam, ils questionnèrent le Prophète  sur sa légalité. Le verset 158 fut donc révélé pour dissiper leurs inquiétudes.

3. En réponse à une question posée au Messager

   Les premiers musulmans n’hésitaient jamais à interroger l’Envoyé de Dieu sur le dogme ou sur la pratique. Jâbir  rapporte qu’un jour, le Prophète  lui rendit visite en compagnie d’Aboû Bakr . « Comme il me trouva sans connaissance, le Prophète  demanda de l’eau, fit ses ablutions et m’aspergea ensuite avec le liquide usagé. Je retrouvai aussitôt conscience et demandai : “Ô Envoyé de Dieu, que m’ordonnes-tu de faire de mon bien ?” C’est alors que fut révélé ce verset : “Voici ce que Dieu vous prescrit au sujet de vos enfants…” »

   Ce verset [11, s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes)] aborde en détail le partage de l’héritage au sein de la famille.

4. En réponse à un questionnement du Prophète

   Ibnou ’Abbâs  rapporte que le Prophète  interrogea l’ange Jibrîl : « Qu’est-ce qui t’empêche de nous visiter plus souvent que tu ne le fais ? » Dieu révéla en ce cas : « Nous ne descendons que sur ordre de ton Seigneur. À Lui tout ce qui est devant nous, tout ce qui est derrière nous et tout ce qui est entre les deux. […] », s.19 Maryam, v.64.

[…]  وَمَا نَتَنَزَّلُ إِلَّا بِأَمۡرِ رَبِّكَ‌ۖ لَهُ ۥ مَا بَيۡنَ أَيۡدِينَا وَمَا خَلۡفَنَا وَمَا بَيۡنَ ذَٲلِكَ‌ۚ

5. En réponse à une interrogation générale

   À plusieurs reprises, les musulmans soulevaient des questions sur des points non élucidés ; le Coran ne manquait pas d’éclaircir ces questionnements : « Et ils t’interrogent sur la menstruation des femmes.  – Dis : “C’est un mal. Eloignez-vous donc des femmes pendant les menstrues, et ne les approchez que quand elles sont pures…” », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.222.

[…]  وَيَسۡـَٔلُونَكَ عَنِ ٱلۡمَحِيضِ‌ۖ قُلۡ هُوَ أَذً۬ى فَٱعۡتَزِلُواْ ٱلنِّسَآءَ فِى ٱلۡمَحِيضِ‌ۖ وَلَا تَقۡرَبُوهُنَّ حَتَّىٰ يَطۡهُرۡنَ‌ۖ

   Le Prophète  explicitait également certaines révélations ; en l’occurrence, il précisa : « Faites tout sauf les rapports. » Contrairement aux Juifs, une seule restriction régit la cohabitation entre époux musulmans.

6. En référence à un individu en particulier

Il arrive également qu’une règle énoncée pour une personne spécifique devienne un principe général. C’est le cas du verset révélé concernant le problème rencontré par Ka‘b Ibnou ‘Oujra  : « […] Si l’un d’entre vous est malade ou souffre d’une affection de la tête (et doit se raser), qu’il se rachète alors par un çiyâm ou par une aumône ou par un sacrifice. […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.196.

[…]فَمَن كَانَ مِنكُم مَّرِيضًا أَوۡ بِهِۦۤ أَذً۬ى مِّن رَّأۡسِهِۦ فَفِدۡيَةٌ۬ مِّن صِيَامٍ أَوۡ صَدَقَةٍ أَوۡ نُسُكٍ۬‌ۚ   […]

   En raison de sa pédiculose survenue en période de pèlerinage, le Prophète  conseilla à Ka‘b  : « Rase (ta tête) et compense en jeunant trois jours, ou en faisant un sacrifice, ou en nourrissant six pauvres, pour chaque pauvre une sa‘. » Une fois de plus, le Messager  apporta des précisions essentielles sur la révélation.

Des causes multiples pour une même révélation

   En se référant aux récits des Compagnons, il s’avère que plusieurs passages coraniques furent transmis au Prophète  relativement à différents événements, circonstances ou questionnements. C’est le cas de sourate 112 Al-Ikhlâç (La Pureté) qui s’adresse aux polythéistes de la Mecque, mais aussi aux gens du Livre rencontrés à Médine.

   Idem, il arrive également qu’un passage coranique s’applique à plusieurs situations. Un exemple clair en témoigne : « Il n’appartient pas au Prophète et aux croyants d’implorer le pardon en faveur des associateurs, fussent-ils des parents alors qu’il leur est apparu clairement que ce sont les gens de l’Enfer. », s.9 At-Tawba (Le Repentir), v.113.

مَا كَانَ لِلنَّبِىِّ وَٱلَّذِينَ ءَامَنُوٓاْ أَن يَسۡتَغۡفِرُواْ لِلۡمُشۡرِڪِينَ وَلَوۡ ڪَانُوٓاْ أُوْلِى قُرۡبَىٰ مِنۢ بَعۡدِ مَا تَبَيَّنَ لَهُمۡ أَنَّہُمۡ أَصۡحَـٰبُ ٱلۡجَحِيمِ

   Deux moments de la vie du Prophète  justifient la descente de ce verset. La mort de son oncle Aboû Tâlib attrista profondément le Messager  et lui inspira ces paroles : « Je ne cesserai d’implorer Dieu pour ton pardon, tant qu’on ne m’aura pas interdit de le faire. » Ce à quoi Dieu répondit par ce verset.

   L’autre circonstance rapportée notamment par ‘Omar Ibnou-l-Khattâb , décrit le Prophète  en larmes devant la tombe de sa mère. Ayant sollicité l’autorisation de Dieu quant à prier pour elle, il reçut ce verset en réponse.

   Parfois, deux récits divergents peuvent exposer la cause de la transmission d’un même passage coranique. Cela s’explique par le fait que le rapporteur ne mentionne que les circonstances auxquelles il a assisté. Les différents récits doivent donc être soigneusement étudiés avant de déclarer une narration plus authentique que l’autre, conformément aux règles afférentes aux sciences du hadîth.

Différentes révélations pour une même raison

   D’après les récits authentiques, la question d’Oumm Salama  « Pourquoi est-il seulement fait référence aux hommes quant à la récompense ? » entraina la révélation de trois versets distincts. Chronologiquement :

   « Ne convoitez pas ce qu’Allâh a attribué aux uns d’entre vous plus qu’aux autres ; aux hommes la part qu’ils ont acquise, et aux femmes la part qu’elles ont acquise. Demandez à Allâh de Sa grâce. Car Allâh, certes, est Omniscient. », s.4 An-Nissâ’ (Les Femmes), v.32.

وَلَا تَتَمَنَّوۡاْ مَا فَضَّلَ ٱللَّهُ بِهِۦ بَعۡضَكُمۡ عَلَىٰ بَعۡضٍ۬‌ۚ لِّلرِّجَالِ نَصِيبٌ۬ مِّمَّا ٱڪۡتَسَبُواْ‌ۖ وَلِلنِّسَآءِ نَصِيبٌ۬ مِّمَّا ٱكۡتَسَبۡنَ‌ۚ وَسۡـَٔلُواْ ٱللَّهَ مِن فَضۡلِهِۦۤ‌ۗ إِنَّ ٱللَّهَ ڪَانَ بِكُلِّ شَىۡءٍ عَلِيمً۬ا

   « Les musulmans et musulmanes, croyants et croyantes, obéissants et obéissantes, loyaux et loyales, endurants et endurantes, craignants et craignantes, donneurs et donneuses d’aumône, jeûnants et jeûnantes, gardiens de leur chasteté et gardiennes, invocateurs souvent d’Allâh et invocatrices : Allâh a préparé pour eux un pardon et une énorme récompense. », s.33 Al-Alhzâb (Les Coalisés), v.35.

إِنَّ ٱلۡمُسۡلِمِينَ وَٱلۡمُسۡلِمَـٰتِ وَٱلۡمُؤۡمِنِينَ وَٱلۡمُؤۡمِنَـٰتِ وَٱلۡقَـٰنِتِينَ وَٱلۡقَـٰنِتَـٰتِ وَٱلصَّـٰدِقِينَ وَٱلصَّـٰدِقَـٰتِ وَٱلصَّـٰبِرِينَ وَٱلصَّـٰبِرَٲتِ وَٱلۡخَـٰشِعِينَ وَٱلۡخَـٰشِعَـٰتِ وَٱلۡمُتَصَدِّقِينَ وَٱلۡمُتَصَدِّقَـٰتِ وَٱلصَّـٰٓٮِٕمِينَ وَٱلصَّـٰٓٮِٕمَـٰتِ وَٱلۡحَـٰفِظِينَ فُرُوجَهُمۡ وَٱلۡحَـٰفِظَـٰتِ وَٱلذَّٲڪِرِينَ ٱللَّهَ كَثِيرً۬ا وَٱلذَّٲڪِرَٲتِ أَعَدَّ ٱللَّهُ لَهُم مَّغۡفِرَةً۬ وَأَجۡرًا عَظِيمً۬ا

   « Leur Seigneur les a alors exaucés (disant) : “En vérité, Je ne laisse pas perdre le bien que quiconque parmi vous a fait, homme ou femme, car vous êtes les uns des autres. Ceux donc qui ont émigré, qui ont été expulsés de leurs demeures, qui ont été persécutés dans Mon chemin, qui ont combattu, qui ont été tués, Je tiendrai certes pour expiées leurs mauvaises actions, et les ferai entrer dans les Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, comme récompense de la part d’Allâh.” Quant à Allâh, c’est auprès de Lui qu’est la plus belle récompense. », s.3 Âli ‘Imrâne (La Famille d’Imrâne), v.195.

فَٱسۡتَجَابَ لَهُمۡ رَبُّهُمۡ أَنِّى لَآ أُضِيعُ عَمَلَ عَـٰمِلٍ۬ مِّنكُم مِّن ذَكَرٍ أَوۡ أُنثَىٰ‌ۖ بَعۡضُكُم مِّنۢ بَعۡضٍ۬‌ۖ فَٱلَّذِينَ هَاجَرُواْ وَأُخۡرِجُواْ مِن دِيَـٰرِهِمۡ وَأُوذُواْ فِى سَبِيلِى وَقَـٰتَلُواْ وَقُتِلُواْ لَأُكَفِّرَنَّ عَنۡہُمۡ سَيِّـَٔاتِہِمۡ وَلَأُدۡخِلَنَّهُمۡ جَنَّـٰتٍ۬ تَجۡرِى مِن تَحۡتِہَا ٱلۡأَنۡهَـٰرُ ثَوَابً۬ا مِّنۡ عِندِ ٱللَّهِ‌ۗ وَٱللَّهُ عِندَهُ ۥ حُسۡنُ ٱلثَّوَابِ

   Ces révélations prouvent donc indubitablement que la femme bénéficie des mêmes rétributions que son homologue masculin, en tant qu’êtres humains égaux face à leur Créateur.

   La connaissance des causes de la révélation est en définitive un domaine essentiel pour comprendre et expliquer les versets coraniques. Elle correspond à la première étape de l’élaboration de l’exégèse du sens des paroles divines et permet de distinguer ce qui se rapporte uniquement à un événement historique de ce qui, en outre, s’applique de manière plus générale. C’est parce que cette science s’intéresse de près aux circonstances de la transmission coranique qu’elle offre une illustration adéquate de l’application des versets, conformément aux situations vécues à l’époque du Prophète .

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact