Les obstacles à la rectitude (2/2) : L’envie/ La jalousie (الحَسَد) et l’orgueil (الكِبْر)

Vie spirituelle

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L’envie/La jalousie

   Ce sont  certes des émotions innées, mais elles sont malsaines : maladies du cœur, elles causent  des souffrances et des dégâts pouvant  devenir chroniques et irréversibles.

   L’Envoyé de Dieu enseignait : « Deux loups affamés lâchés dans une bergerie ne sont pas plus dévastateurs que la cupidité et l’envie pour la religion du musulman. Et l’envie consume les hassanats [récompenses divines] comme le feu consume le bois » (Hadîth rapporté par At-Tirmidhî).

   C’est pourquoi il est vivement recommandé de se prémunir de l’envieux en récitant : « […] contre la méchanceté de l’envieux quand il envie ! », s.113 Al-Falaq (L’Aube naissante), v. 5.

   Parfois, la jalousie atteint une telle proportion que d’aucuns clament que l’envieux pourrait changer le destin : ceci est bien entendu une exagération dans la parole, car tout est écrit et rien n’échappe à la connaissance d’Allâh .

   Le premier péché connu est le refus d’Iblis de se prosterner devant Âdam par respect pour le savoir que Dieu a enseigné à ce dernier. Iblis désobéit par orgueil et parce qu’il jalousait l’honneur divin reçu par Âdam , « [Allâh] dit : ʺ Qu’est-ce qui t’empêche de te prosterner quand Je te l’ai commandé ? ʺ  Il répondit : ʺ Je suis meilleur que lui : Tu m’as créé de feu, alors que Tu l’as créé d’argile.ʺ », s.7 Al-A‘râf (Les Murailles), v.12.

   La jalousie fut aussi à l’origine du premier meurtre sur terre : celui d’Abel par son frère Caïn. Le Coran narre : « Raconte-leur l’histoire des deux fils d’Âdam telle qu’elle est arrivée. Chacun des deux frères avait fait une offrande, mais celle de l’un fut agréée, alors que celle de l’autre ne le fut point. ʺ Je te tuerai ! ʺ, dit ce dernier à l’autre. Allâh n’accepte, dit l’autre, que de la part des pieux », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.27.

  Abel avait donné son meilleur bélier, tandis que Caïn n’a offert, par ladrerie, que le plus mauvais de sa récolte de blé.

   Certains envient d’autres pour le respect qu’ils inspirent à leurs semblables, et ils se demandent pourquoi pas eux, alors que dans leurs tréfonds ils connaissent les raisons : les honorés possèdent des qualités qu’eux-mêmes n’ont pas, et leur jalousie révèle leur refus d’admettre cette réalité.

   La plupart des polythéistes, des juifs et des chrétiens n’avaient pas suivi l’Envoyé de Dieu à l’époque, non pas parce qu’ils ne reconnaissaient pas en lui les qualités de prophète, mais parce qu’ils espéraient que Dieu élût un homme parmi les leurs.

   Yoûssouf était le favori de son père parmi ses frères. Consumés par la jalousie, ils voulurent se débarrasser de lui, quitte à le trucider.

   Plusieurs imâms et érudits de l’Islam furent calomniés et humiliés à tort par des personnes qui les jalousaient. On rapporte que le Prophète dit : « Le croyant bascule entre cinq difficultés : un croyant qui l’envie, un hypocrite qui le déteste, un mécréant qui le combat, un diable qui essaie de l’égarer et son ego qui tente de le dévier [du droit chemin]. »

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   Subir l’envie d’autrui est le lot de tous les musulmans. La gravité de la jalousie ne réside pas en ce sentiment lui-même — il n’est qu’une simple sensation de frustration —, mais dans ce qu’il va susciter comme réaction. Si la jalousie reste dans le cœur, la seule victime est le jaloux lui-même : il est coupable, mais en même temps, sa frustration de voir son rival baigner dans le bonheur fait de lui une victime. Le danger de la jalousie existe quand celle-ci génère la calomnie, la médisance, la propagation de la suspicion, et l’utilisation de tous les moyens nuisibles pour dévaloriser l’envié.

   Dieu dit dans Son Livre : « Ceux qui offensent à tort les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un grave péché. », s. 33 Al-Ahzâb (les Coalisés), v.58.
Le Prophète dit : « Dieu prend l’engagement de fondre en enfer tout individu qui propage un mensonge sur un musulman alors qu’il en est innocent, et ce jusqu’à ce qu’il paie le prix de ce qu’il a dit. »

Les raisons de la jalousie sont multiples :

   – l’orgueil : la personne croit avoir atteint un  certain niveau de notoriété, de savoir, de piété etc., mais apparaît une personne meilleure qu’elle et cela suscite chez elle de la jalousie.
– La peur de perdre un privilège directement ou indirectement du fait des qualités ou compétences d’une autre personne : pour anéantir son rival, le jaloux en arrive à employer  la   sorcellerie, un acte de mécréance par excellence !
– Le mauvais caractère : le jaloux l’est par nature, il déteste tout le monde et tout le monde le déteste.

La jalousie comporte plusieurs degrés de gravité :

   – l’envieux désire ce que l’autre possède.
– L’envieux désire ce que l’autre possède et souhaite en outre que ce dernier en soit dépossédé.
– Le plus cynique est celui qui ne désire pas ce que l’envié possède, mais il souhaite l’en voir dépouillé.

   Le Prophète dit : « Il n’y a de jalousie que dans deux choses [c’est-à-dire la jalousie admise] : un homme à qui Allâh a donné du savoir qu’il transmet à tout le monde ; un homme à qui Allâh a donné de l’argent qu’il dépense dans Sa voie. »

   Ceux qui ont expliqué ce hadîth ont déclaré que si la jalousie devait être, ce n’est que pour ces deux cas, mais en vérité elle ne devrait pas habiter le musulman. Certains nomment cette envie « الغِبْطَة : al-ghibta », c’est-à-dire désirer ce que l’autre a pour l’avoir soi-même et faire du bien avec : ceci est acceptable.

   D’une manière générale, toutes les raisons de la jalousie ont une seule origine : la faiblesse de la foi. Il est écrit dans le Coran : « Seigneur, pardonne-nous, ainsi qu’à nos frères qui nous ont précédés dans la foi. Fais que nos cœurs n’aient jamais de haine pour les croyants. Seigneur, Tu es toute bonté et toute compassion », s.59 Al-Hachr (L’Exode), v.10.
Telle doit être l’attitude des musulmans. Mais le comble aujourd’hui c’est que certains ne se contentent pas de critiquer les vivants, ils fustigent également des érudits disparus il y a des siècles, ignorant si ces savants sont ou non déjà au paradis par la grâce de Dieu !

   Mouhammad Al-Bâqir , descendant du Prophète , grand docte de la foi et référence pour les chi‘ites, entendit un jour des chi‘ites critiquer Aboû Bakr Aç-Çiddîq . Il se dirigea vers l’un d’eux et lui demanda s’il avait fait partie de ceux qui avaient effectué l’Hégire pour Dieu, délaissant parfois famille et biens. L’autre répondit par la négative. Est-ce qu’il était des Ançars de Médine qui avaient accueilli les émigrants et tout partagé avec ceux-ci ? A nouveau la réponse fut négative. Alors le savant lui dit : « Le pire c’est que je ne te trouve même pas parmi ceux qui disent : ʺ Seigneur, pardonne-nous, ainsi qu’à nos frères qui nous ont devancé dans la foi. Fais que nos cœurs n’aient jamais de haine pour les croyants. Seigneur, Tu es toute bonté et toute compassion.ʺ Sortez de mon assise ! Que Dieu ne me rapproche pas de vos demeures ! »

Pour se débarrasser de l’envie, il faut :

   savoir que c’est l’envieux qui est la victime, puisque son cœur se consume à chaque fois que son rival est favorisé ;
savoir que l’envie est perceptible par les autres : ceci discrédite l’envieux aux yeux d’autrui.

   Lorsque le musulman entend une calomnie, il doit défendre la victime, conformément à la parole du Prophète : « Celui qui défend son frère alors qu’il est absent, Dieu prend l’engagement de le sauver de l’enfer le Jour du Jugement. »La patience est la meilleure arme face à la calomnie. Le Prophète annonçait : « Chaque fois que le serviteur avale une colère, c’est la meilleure gorgée qu’il ait avalée. Chaque fois qu’il l’avale, Dieu lui fait remplir le cœur par la foi. » L’envié est toujours le gagnant : la malveillance de l’envieux le débarrasse de ses mauvaises actions (as-sayiʼâtes) et il amasse les récompenses divines de l’envieux (al-hassanâtes). Il se peut que ce soient finalement l’envie et la jalousie des autres qui feront pencher la balance en faveur de la victime qui gagnera ainsi le paradis le jour de la reddition des comptes.

L’orgueil (al-kibr)

   C’est le fait de surestimer sa propre importance et de dévaloriser autrui. Le Prophète annonçait : « N’entrera pas au paradis celui qui a un grain de moutarde d’orgueil dans son cœur. »
Allâh déclare : « Je priverai de Mes signes ceux qui sans raison affichent leur orgueil sur Terre. », s.7 Al-A’râf (Les Murailles), v.146.
Dans d’autres versets : « (…) Il n’aime pas les orgueilleux. », s.16 An-Nahl (Les Abeilles), v.23 ; « (…) Ceux qui par orgueil se détourne de mon adoration iront humiliés en enfer », s.40 Ghâfir (Celui Qui pardonne), v.60.

   Aboû Bakr Aç-Çiddîq disait : « Ne sous-estimez aucun musulman, car le petit musulman peut être grand auprès d’Allâh . »

   Al-kibr et at-takabbour sont deux notions différentes. La première est un sentiment intérieur de supériorité. La seconde est l’extériorisation de l’orgueil par la parole, les gestes, la manière de saluer autrui, etc.

   L’orgueil se manifeste quand il y a envie à l’égard d’autrui ; dans le refus d’aller en quête du savoir, surtout si celui qui dispense l’érudition est du même âge que l’apprenant, ou pire plus jeune que lui : « Deux personnes n’apprennent jamais : l’orgueilleux et  le timide. » ; dans la démarche : « Ne marche pas plein d’orgueil sur Terre, car jamais tu ne pourras la percer de ton talon, et encore moins t’élever au niveau des montagnes. », s.17 Al-Isra (Le Voyage nocturne), v.37.

   La terre est l’origine et la demeure des hommes, et c’est elle qui les recouvrera  à leur mort, donc point d’infatuation à son endroit, mais du respect et encore du respect.

   Quand une personne prend la parole et prononce au moins quatre fois « moi », « j’ai », « je suis » et des mots de ce style, il n’y a plus de doute, il s’agit manifestement d’orgueil.
Cette tare s’exprime aussi par l’amour aveugle du pouvoir, quitte à le défendre bec et ongles. Lorsqu’on lui confia la direction des musulmans, ‘Omar Ibnou Abdel-Azîz proclama sur le minbar : « Vous m’avez donné cette responsabilité, or je ne la mérite pas. Je vous la rends ! » ; et les gens de lui rétorquer : « C’est justement à toi qu’on veut la confier ! » Idem, Aboû Bakr Aç-Çiddîq fut appelé au gouvernement des musulmans, il dit : « Vous m’avez donné la responsabilité de vous diriger, et je ne suis pas le meilleur d’entre vous ! »
Les pieux avaient toujours fait preuve d’humilité, tandis que beaucoup de gens se croient indispensables et irremplaçables. L’infatuation empêche l’humilité, et le Prophète dit : « Celui qui est humble, Dieu élève son degré. »
‘Âïcha déclarait en parlant de l’humilité : « Vous ne vous rendez pas compte de la meilleure adoration. »

   On a demandé à Al-Foudayl Ibnou ‘Iyâd (que Dieu lui accorde Sa miséricorde) ce qu’est l’humilité, il répondit : « C’est le fait de suivre la vérité, même si c’est un enfant ou un ignorant qui te la désigne. »

   ‘Omar Ibnou Al-Khattâb avait donné raison à une femme lorsqu’elle s’est levée au cours d’un de ses prêches du vendredi et s’était opposée à son opinion à propos du montant de la dote. Du haut de sa chaire, le calife répliqua : « La femme a raison et ‘Omar a tort ».

   Cet exemple est loin d’être suivi de nos jours.

   Abdoullâh Ibnou Al-Moubârak affirmait : « La tête de l’humilité c’est de te rabaisser devant celui qui possède moins de biens terrestres que toi, afin de lui montrer que tu ne possèdes pas plus de privilèges que lui. Et c’est aussi le fait de te donner plus de valeur auprès de celui qui te dépasse en biens terrestres, afin de lui montrer qu’il n’a aucun privilège sur toi par ce qu’il possède. »

   Certains pauvres ont la dignité de ne pas montrer leur état et rétorquent aux plus nantis : « Louange à Dieu ! Mon réfrigérateur est plein à craquer ! »
D’aucuns disent que s’enorgueillir devant un orgueilleux est une preuve d’humilité ! S’enfler devant ce type d’individu c’est lui signifier sa petitesse, et lui faire comprendre qu’il n’a pas à se comporter de la sorte.

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   Des gens sont venus voir leur imâm Mouhammad Ibnou Mouqâtil , suite à un tremblement de terre dont ils furent victimes, et au cours duquel ils perdirent leur récolte : « Mohammad, tu es notre imâm. Invoque Dieu pour nous, afin qu’il nous enlève cette épreuve ! » ; l’imâm de rétorquer : « J’espère ne pas être la cause de l’épreuve par laquelle vous passez !
.Moûssâ Ibnou l-Qâssim était présent parmi ces personnes. Il racontait : « Lorsque je me suis endormi le jour même, je vis en rêve le Prophète (pbDsl) me dire : ʺ Allâh  a stoppé l’épreuve qui tombait sur vous grâce à l’invocation de Mouhammad Ibnou Mouqâtil. ʺ ».

   L’Envoyé de Dieu ( dit : « Il se peut qu’un homme ait des cheveux hirsutes et de vils habits, mais s’il jure par Dieu et qu’il  invoque Dieu, Dieu lui répond sur le champs. »

   L’affaire ne se juge pas sur les apparences, Seul Dieu connaît les tréfonds humains, c’est pourquoi la modestie doit être de mise en toute circonstance.

   Les louanges abondantes des gens risquent de susciter de l’orgueil chez la personne louée. Aboû Bakr disait habituellement les gens le vantaient: « Dieu ! Tu me connais mieux que moi-même, et je me connais mieux qu’eux ne me connaissent. Pardonne-moi pour ce qu’ils ignorent ! Ne t’en prends pas à moi pour ce qu’ils disent ! Fais-en sorte que je sois mieux que ce qu’ils disent ! ». Une autre fois, quelqu’un l’insulta, et il répliqua sincèrement : « La partie de ce qui t’est cachée est pire encore ! »

   Le Prophète avait confié à Houdayfa Ibnou Al-Yamâne la liste où figuraient les noms des hypocrites sur lesquels il ne fallait jamais effectuer la prière mortuaire. ‘Omar Ibnou Al-Khattâb suppliait fréquemment ce Compagnon de lui dire s’il était ou non sur cette liste !

   Une autre cause de l’orgueil est que « dans un pays d’aveugles, le borgne est roi » : face à des ignorants, ou à des défavorisés socialement ou culturellement, l’infatué a toute latitude pour se prendre pour le nombril du monde.

   Le complexe d’infériorité peut aussi entraîner l’individu dans la pente dangereuse de l’orgueil : s’enfler permet au vantard d’exister ; au fonds de lui-même il connaît ses lacunes.

   Les conséquences de l’orgueil sont graves, le prétentieux ne tire pas profit du savoir, contrairement au modeste : il ne s’active pas dans l’adoration puisqu’il est toujours satisfait de ce qu’il fait ; il n’accepte plus les conseils quels qu’ils soient (coraniques, prophétiques, fraternels).
Pour se débarrasser de ce défaut : il faut côtoyer les pieux, les savants, afin de connaître la supériorité de leur mérite (certaines personnes ne sont pas des savants, mais Allâh a placé en eux un secret transparaissant dans leur comportement et qui est tel qu’aucune science ne peut en être la cause : ces personnes vivent tranquilles, silencieuses, aimant tout le monde et elles sont aimés de tous).

   La lecture fréquente et surtout la compréhension du Coran, la connaissance des épreuves par lesquelles étaient passés les prophètes (paix et salut sur eux), tout cela renforce le sentiment de petitesse et la modestie du croyant ; subséquemment, l’humilité s’acquiert. Pour parvenir à cet objectif, il y a également les actes d’adoration secrets, dont Dieu Seul est Témoin. En voici un exemple : à la mort de ‘Alî Ibnou Al-Houssayn Zîne Al-‘Âbidîne, petit fils de ‘Alî Ibnou Abî Tâlib ,  et lors de son lavage mortuaire, les gens découvrirent des marques noires sur son dos, ils pensèrent qu’il avait été fouetté au cours de sa vie. Or, au bout de quelque temps, de nombreux pauvres racontèrent que chaque matin ils trouvaient devant leur porte un sac contenant des provisions et de quoi se vêtir et que la disparition de cette manne coïncidait avec le décès de l’érudit. Tous comprirent alors l’origine des marques noires sur le dos du docte, et ils convinrent qu’il était l’auteur des généreux dons secrets.

Conclusion

   Se préoccuper de ses défauts et effectuer son examen de conscience c’est agir avec sagesse : quelle que soit la belle apparence dont l’humain s’enorgueillit, il n’en demeure pas moins qu’il porte en son ventres urine et excrément ; la souillure est en lui. Nul n’est exempt de faiblesse, aussi faut-il faire preuve de considération et d’indulgence envers autrui, et toujours avoir à l’esprit que le paradis n’est jamais gagné d’avance.Désormais les obstacles à la rectitude sont connus, aux croyants dès lors, avec l’aide du Tout-Puissant, d’éradiquer le mal par la racine et d’éviter son emprise.

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