(2) L’imâm Ahmad Ibnou Hanbal Ach-Chaybânî (Da) : Le sacre de la science

École Hanbalite

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   La détermination d’Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) pour acquérir la science religieuse est un fait. Son défunt père lui ayant laissé en héritage une coquette somme, cela le met à l’abri du besoin pour un certain temps. Il emploie judicieusement cet argent,

puisqu’il le consacre aux dépenses strictement nécessaires : pour les frais occasionnés par les études, pour ses besoins propres et pour les pauvres. L’histoire retiendra sa dignité et sa libéralité exemplaires, car même dans les difficultés financières les plus pénibles, il se retiendra de solliciter autrui et offrira tout ce qu’il possède aux plus démunis ! Son détachement du bas monde est authentifié, il ne discute pour ainsi dire jamais des mondanités et se contente dans les moments de pénurie d’une galette dure comme du roc qu’il trempe dans de l’eau. Plus tard, lorsqu’il deviendra imâm, il dira : « Les jours les plus heureux pour moi sont ceux où je me lève le matin sans avoir rien sur moi ».

   C’est donc l’esprit et le cœur libérés de la convoitise des biens terrestres qu’Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) démarre sa formation intellectuelle, sacrifiant même sa vie affective pour elle, car il ne se mariera que dans le tard, à la quarantaine. Selon certaines sources, c’est par respect et par amour pour sa remarquable mère qu’il attendra si longtemps avant de convoler en justes noces : ses épousailles interviennent après le décès maternel, et jusque là, l’amour d’aucune autre femme n’a droit de cité dans son cœur.

   L’étudiant ne se contente pas de suivre un seul maître, mais profite de l’érudition des plus illustres de son temps… tant qu’à faire, autant tenir compagnie aux meilleurs ! Son premier tuteur est Aboû Yoûssoûf (Ra), qui lui transmet la science du hadîth. Mais Aboû Yoûssoûf (Ra) représente l’école de son maître et compagnon Aboû Hanîfa (Ra), axée sur le raisonnement personnel (ar-ra’y). Or, le cursus et la personnalité d’Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) ne sont pas un terreau favorable à ce type de semence : l’élève délaisse le cercle pour celui de Hichâm Ibnou Bachîr Al-Wâsitî (Ra), de 179 à 183 H, où sont enseignés le hadîth et d’autres disciplines, dont l’exégèse coranique. Ce savant est réputé pour sa piété et sa moralité indiscutables. C’est durant ce laps de temps qu’Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) écrit de petits ouvrages, un livre traitant du pèlerinage et un autre de la prédestination.

   Il assiste également aux assises de ‘Alî Ibnou Hâchim Ibnou Al-Barîd pour le hadîth, mais il le quitte au bout d’un an à cause de ses penchants pro-chiîtes.

‘Abdou Ar-Rahmâne Ibnou Mahdî (Ra), l’auguste traditionniste et maître du hadîth de Bassora, installé à Baghdâd en 180 H, accompagne également l’aspirant. Et celui-ci fréquente parallèlement les traditionnistes Aboû Bakr Ibnou ‘Ayyâche (Ra) et Al-Hâfidh ‘Oumar Ibnou ‘Abdoullâh Ibnou Khâlid (Ra), sans oublier d’immenses et talentueux lecteurs du Coran tels que Yahyâ Ibnou Âdam, Saïd Ibnou As-Sabâh et Ismâ’îl Ibnou Dja’far (que Dieu les agrée tous).

   Il en ressort qu’après un brillant tour d’horizon de toutes les sciences religieuses nécessaires à sa formation, Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) se spécialise dans celle du hadîth : « Celui qui désire le hadîth, doit œuvrer pour lui. Et œuvrer pour lui, signifie aller à sa recherche », dit-il. Joignant l’acte à la parole, Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) entreprend de périlleux voyages pour Bassora, Koûfa, le Hidjâz, la Mecque (en 187, en 191 et en 196 de l’Hégire), Médine, le Yémen (à pied !), Tartous et enfin la Syrie : « J’ai fait cinq fois le pèlerinage, dont trois à pied, et j’y ai dépensé durant tous ces pèlerinages, trente dirhams », raconte-t-il.

   Tandis qu’il séjourne à Bassora, il apprend du cheikh Isma‘îl Ibnou ‘Ouliya (Ra), pour lequel il voue une grande admiration. Il suit également le pieux ascète et traditionniste Yazîd Ibnou Hâroûn (Ra), originaire de Boukhâra et installé à Wâsit ; Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) enseigne à Baghdad le temps de son halte sur les lieux. À la Mecque, il prend pour maître le traditionniste et jurisconsulte Soufiâne Ibnou ‘Ouyayna (Ra). Au Yémen, à San’â’ précisément, durant deux années, il recueille des hadîths auprès des doctes ‘Abdar-Razâq (Ra) et Ismâ’îl Ibnou Hammâm Al-Houmayrî As-San’â’nî (Ra).

   S’étant aussi formé auprès de Mouhammad Ibnou Idrîss Ach-Châfi’î (Ra), il projette de se rendre en Egypte pour, comme promis, revoir le savant, mais la mort emporte celui-ci en 204 H, sans que son vœu ne se concrétise.

   Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) est considéré à juste titre comme le premier traditionniste à voyager pour recueillir les hadîths du Prophète . Un jour, après un voyage exténuant et risqué, il trouve un homme auprès duquel il espère la transmission d’un hadîth du Prophète . Il le salue, l’individu lui retourne la salutation, mais continue à nourrir un chien, sans prêter plus d’attention que cela à Ahmad Ibnou Hanbal (Ra) qui se sent pour le moins mal à l’aise face au silence et à l’indifférence de son interlocuteur. Celui-ci, après avoir alimenté l’animal, se tourne enfin vers le visiteur et dit :

— « Peut-être que cela t’a vexé que je donne à manger à ce chien sans m’occuper de toi ?

— Oui, répond Ahmad Ibnou Hanbal (Ra).

— Aboû Az-Zinâd m’a rapporté d’après Al-A‘radj, d’après Aboû Hourayra , que le Prophète a dit :  » Celui qui fait désespérer quiconque espère en lui, Allâh lui coupera tout espoir en Lui le jour de la Résurrection, et il n’entrera pas au paradis « . Dans notre contrée, il n’y a pas de chien, et ce chien est venu à moi, et c’est pourquoi je n’ai pas voulu lui couper son espoir.

— Ce hadîth me suffit. », réplique Ahmad Ibnou Hanbal (Ra), puis il rebrousse chemin !

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   Au cours de ses pérégrinations il connaît des mésaventures qui n’entament absolument pas sa volonté de rechercher la science. La sécurité des routes étant ce qu’elle est à cette époque, les voyageurs subissent malheureusement les vicissitudes de leurs périples, plus ou moins pénibles et traumatisantes pour certaines : ainsi, l’aspirant au savoir se voit une fois dépouillé de ses vêtements, et une autre fois être délesté de son argent par des malfrats sans foi ni loi, alors qu’il emprunte le chemin du Yémen. Très pudique et digne, il ne sollicite l’aide de quiconque dans la difficulté, même pas celle de ses maîtres Yazîd Ibnou Hâroûn (Ra) et ‘Abdou Ar-Razaq Ibnou Hammâm Al-Houmayrî As-San’ânî (Ra), ou encore celle de son compagnon de voyage Ishâq Ibnou Rahawayh et celle de Yahyâ Ibnou Mou’îne, préférant travailler comme porteur pour subvenir à ses dépenses.

   Son scrupule est indéniable, comme en témoigne Ishâq Ibnou Moûssâ’ Al-Ansârî : « Al-Mamoûn [le calife] m’a donné un jour une somme d’argent en me disant :  » Partage-le entre les gens du hadîth, les traditionnistes, car il y a parmi eux des pauvres. » Tous prirent une part, sauf Ahmad Ibnou Hanbal qui refusa d’en prendre. »

   Dans les temps plus fastes, l’imâm tire ses revenus du filage du coton et de sa vente qu’il confie à un tiers.

   Il faut croire que la dilection — et le mot est pesé ! — de l’imâm pour la solitude et l’isolement concourt à la rigueur et à la profondeur de ses pensées : on ne le voit que dans les mosquées, dans les cortèges funèbres ou dans les visites aux malades. Il abhorre les marchés, et lorsqu’il sillonne les rues, son pas est si alerte que nul ne peut marcher à ses côtés !

   Son ouverture d’esprit et sa soif d’apprendre l’incitent également à maîtriser la langue perse et toutes les connaissances religieuses de son époque : la grammaire arabe, l’exégèse du Coran, la jurisprudence, la théologie ; « Moi, je continuerai à chercher la science jusqu’à ce que j’entre dans la tombe » aime-t-il déclarer. Sa mémoire exceptionnelle lui permet d’engranger foule de données, de retenir aisément, au cours d’une même assise, une centaine de hadîths sans se tromper, et ce, sans l’appui d’aucun ouvrage. Toutefois, un livre est toujours posé sur ses genoux lorsqu’il enseigne.

   L’imâm aime à suivre l’exemple du Prophète , c’est pourquoi, ce n’est qu’à quarante ans — l’âge du Prophète lors de la descente de La Révélation —, que l’érudit accepte enfin de transmettre les hadîths.

   Le moment est ainsi venu d’aborder les particularités de son école…

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