L’Islam en Chine (2/2)

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   Depuis 1949, la communauté musulmane chinoise a subi trois phases de politique répressive du régime communiste à l’égard des pratiques religieuses.

   La première phase s’étend de 1949 à 1958 : la religion pouvait exister dans un environnement extrêmement contrôlé.

  Seulement une organisation musulmane connue sous le nom de l’Association Islamique Chinoise avait le droit d’exister et était sponsorisée par le gouvernement. Les gens pouvaient pratiquer leur religion en privé, et un nombre limité de mosquées était autorisé à accueillir les fidèles. L’éducation religieuse en dehors de la mosquée était complètement interdite. Le système éducatif communiste s’était approprié les anciennes écoles islamiques, et n’y autorisait aucun matériel religieux. Plusieurs mosquées furent reconverties à d’autres usages. En 1949, on comptait quarante-huit mosquées à Beijing, en 1953, il n’en restait que trois ouvertes !!

   La deuxième phase va de 1958 à 1979 : de nombreuses formes de pratiques religieuses et éducatives furent complètement bannies. Les arrestations étaient monnaie courante : des savants et imâms ont commencé à disparaître, certains furent envoyés dans des camps de réforme désertiques dont ils ne revinrent jamais. Dans certaines provinces, toutes les mosquées furent détruites par les communistes. Les étudiants musulmans étaient forcés de boire de l’eau avant d’assister à leurs cours durant le mois de Ramadan. Les croyants étaient même contraints de nourrir les porcs dans plusieurs régions rurales. D’une manière générale, le but principal du régime communiste était d’éradiquer toute influence religieuse au sein de la communauté musulmane chinoise.

   La troisième phase court de 1980 à nos jours : le contrôle des pratiques religieuses est à l’ordre du jour mais de façon plus relâchée. De nombreuses mosquées dans tout le pays furent autorisées à rouvrir, ou à être reconstruites par la communauté musulmane. Dans une province, les communistes autorisèrent l’édification de plus de trois mille mosquées ces vingt dernières années. Le gouvernement a réorganisé et contrôlé l’Association Islamique Chinoise. Tout comme pendant la première phase, l’éducation religieuse est interdite au sein du système éducatif chinois. Les écoles islamiques privées sont également illégales, et ceux qui enfreignent cette prohibition sont incriminés sans pitié. Dans les mosquées, les étudiants de moins de dix-huit ans ne sont pas autorisés à étudier l’Islam. Pas de prêche religieux, de meeting ou d’événements organisés admis sur les places publiques !

Oppression et massacre des musulmans

   C’est donc durant la deuxième phase que le régime communiste lança une campagne antireligieuse sans précédent. Dans la province de Ganzu, les musulmans Dongxiang se sont révoltés pour défendre leur imâm et leur mosquée de la destruction. Ils ont expulsé les officiels gouvernementaux de leur circonscription et désarmé la police locale pour déclarer l’indépendance de leur minuscule comté montagneux. Le régime communiste envoya l’armée qui s’était retirée de la péninsule coréenne. Celle-ci usa de toutes les armes modernes en sa possession et mena des batailles sur les sommets de la région contre des hommes, des femmes et des enfants musulmans, uniquement armés de fusils de chasse, de machettes, de lances et même de couteaux et de ciseaux de cuisine. La révolte fut réprimée après sept mois de combats féroces, et plus de vingt mille musulmans Dongxiang furent massacrés par l’armée communiste. Trente ans après ce tragique événement, il reste encore beaucoup de villages de veuves dans les régions montagneuses dont la population masculine a été assassinée ou emprisonnée.

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   En 1973 les musulmans Huis de la province du Yunnan se sont organisés pour protéger leur mosquée de la destruction. Sous la direction de Ma Ba Hua, ils formèrent une milice, s’équipèrent d’armes automatiques gouvernementales et s’entraînèrent aux techniques défensives de base. Au printemps 1975, le régime communiste de Chine mobilisa deux divisions militaires qui se sont regroupées dans la province du Yunnan. Lorsque les délégations de villageois parties négocier avec le régime revinrent, l’armée les encercla et lança des attaques meurtrières sur les villages musulmans. Elle avait prévu de prendre les villages en quelques heures, mais elle rencontra une telle résistance de la part de la population que la bataille dura six jours et nuits. Le sixième jour, pour réduire les blessés du côté de l’armée, les autorités communistes ordonnèrent l’utilisation d’un canon pour bombarder le village. Quand l’armée entra dans le village, son avancée fut freinée par une résistance de la part des survivants. Le chef du village, Ma Ba Hua, fut mutilé par des débris de canon, et son corps fut protégé par quatre musulmanes. L’armée n’emmena aucun prisonnier de guerre. D’après un témoin oculaire, plus d’une centaine de défenseurs capturés furent rassemblés dans une cour et furent abattus de sang froid par les meurtriers communistes. Parmi les habitants de huit mille villages musulmans, seuls huit cents à mille femmes âgées et enfants ont survécu au massacre. L’armée communiste perdit plus de quatre cents hommes, et mille furent blessés durant le combat.

   En 1982, des milliers d’Huis habitant la région autonome du Ninxia furent une nouvelle fois massacrés, mais cette fois pour avoir lutté en faveur de la liberté de religion et de réels droits autonomes sur leurs propres affaires. En 1993, un demi million de musulmans Huis Dongxiang et Salar des provinces libres du Nord-Ouest comme Ganzu, Ninxia prirent part à un vaste mouvement de protestation contre la discrimination religieuse, exigeant du régime communiste de respecter les droits humains, la liberté individuelle et la liberté religieuse. Ce dernier répondit en envoyant son armée meurtrière et déclara la loi martiale. Sept cents protestataires musulmans furent tués et sept mille furent arrêtés. Plusieurs activistes religieux et opposants furent forcés de passer à la clandestinité ; ils sont toujours traqués aujourd’hui à travers le pays.

  Durant les années soixante et soixante-dix et même au début des années quatre-vingt, le régime communiste fit plusieurs tests nucléaires aériens dans les provinces du nord-ouest de la Chine, principalement habitées par des musulmans. L’air environnemental des musulmans devint hautement pollué : une grande proportion de cancers et d’infirmités natales parachèvent à petit feu le génocide … Le régime ne fit aucun effort pour diminuer ces essais ou compenser les victimes. La destruction de l’environnement des musulmans est encore d’actualité aujourd’hui.

  Début 1997, une autre protestation de la part des Ouigours, vivant dans la région autonome de Xinjiang, éclate. Selon le Sing Tao Daily, le journal chinois de Londres, seize mille protestataires furent arrêtés. La plupart d’entre eux furent condamnés à mort et exécutés le jour même devant une foule de milliers de personnes, en guise de leçon.

  Les régions musulmanes au nord-ouest de la Chine sont riches en minéraux et ressources naturelles. Ganzu et Qinghai procurent plus de 80% de la production chinoise de minéraux rares. Un cinquième des hydrocarbures chinois est généré par ces deux provinces. Xinjiang est en train de devenir la plus grande base de production d’or et de pétrole. Le régime communiste conduit une politique délibérée d’exploitation et d’appauvrissement intérieurs du pays ainsi que les régions des minorités ethniques musulmanes. Ils promeuvent ouvertement une politique économique qui accélère la rapide croissance économique et le développement des provinces du Sud et de l’Est par le biais d’une maîtrise étatique des prix des matières premières et des produits minéraux. Toutes les stations d’hydrocarbures situées sur les terres musulmanes sont directement contrôlées par le ministère du gouvernement central. Les bénéfices de ces stations ne profitent ni aux populations locales ni au gouvernement local.

Manganocalcite de la province du Hunan

   Ce schéma se reproduit pour les revenus générés par l’industrie de l’huile et des minéraux. Les musulmans, tout comme d’autres minorités ethniques, produisent des matières premières comme du coton, de la laine, des cuirs et des peaux et certains produits agricoles. Les producteurs de ces biens sont obligés de les vendre au gouvernement à des prix officiellement bas. En revanche, ils doivent payer le prix libre du marché pour acquérir des biens manufacturés. Le gouvernement promeut cela en tant que stratégie de développement économique par étape. Cette politique économique à l’endroit des minorités ethniques et la religion musulmane correspond plus au style colonialiste.

   Depuis la fin des années soixante-dix, le régime communiste a adopté une politique des naissances très rigoureuse. Dans de grandes villes comme Beijing, Shanghai, Guanzhou et toutes les capitales provinciales, chaque couple marié n’a le droit d’avoir qu’un enfant. Cette politique s’applique aussi bien aux majorités non musulmanes qu’aux minorités musulmanes. Les gens qui appartiennent à ces groupes ethniques minoritaires doivent demander la permission avant d’avoir un deuxième enfant. Si un couple concevait un second enfant sans licence, la pénitence se concrétiserait par l’interruption provoquée de la grossesse, puis la mère devra être stérilisée, de force si nécessaire. Au long terme, cette gestion brutale risque d’éteindre la communauté musulmane Hui dans de nombreuses parties du pays.

L’éducation religieuse

   Quelques fois l’éducation religieuse passe par des écoles islamiques arabes. Ces établissements sont illégaux d’après la loi communiste chinoise. Si le régime trouvait l’emplacement des classes, il les fermerait aussitôt, mais fort heureusement les écoles sont très flexibles. Les étudiants viennent de tout le pays et sont hébergés par des familles musulmanes locales. Les organisateurs ont des plans contingents dans le cas d’interruption forcée. Quand le régime ferme un site un jour, un autre se crée le lendemain à un autre endroit. Il faut compter entre six mois et un an avant que les autorités ne prennent connaissance de l’ouverture d’un nouvel établissement. Même si leur système relève de la survie, taux de réussite scolaire est remarquable. Les écoles qui opèrent selon cette stratégie tendent à adopter un style moderne d’éducation. Ils utilisent de nouvelles méthodes, du matériel récent, et enseignent des matières scientifiques et sociales, ainsi que des cours d’arabe et de religion.

   Le régime interdit toute publication de littérature islamique, mais il existe certaines éditions clandestines qui circulent au sein des communautés musulmanes. Plusieurs savants chinois empruntant des pseudonymes écrivent des livres sur l’Islam et les publient secrètement à travers des chaines privées. Cependant le climat change : quelques érudits musulmans passent par les chaînes publiques pour publier des livres qui propagent les enseignements basiques du Coran et du hadîth d’un point de vue socioculturel. Cette situation contraste fortement avec celle d’il y a trente ans : dans les années soixante-dix, un certain savant musulman écrivit un ouvrage sur la tradition prophétique, il fut condamné à mort pour sa publication !

Les musulmanes chinoises

   Les musulmanes chinoises ont joué un rôle crucial dans le maintien de la communauté musulmane. Pendant la dernière moitié du siècle dernier, elles s’étaient impliquées dans tous les aspects de la lutte communautaire pour survivre sous un régime communiste totalitaire. Durant les périodes les plus noires de la révolution culturelle (1966-1976), l’enseignement et la compréhension des bases de la foi musulmane étaient transmis par la mère dans la plupart des demeures musulmanes.

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   Depuis 1980, plusieurs mosquées ont intégré une section spéciale destinée à faciliter la prière et l’instruction des femmes. Ces écoles coraniques pour femmes ont des classes et des horaires très flexibles pour permettre aux étudiantes, aux mères au foyer et aux professionnelles de trouver un moment pour étudier leur religion. Même avant 1949, les croyantes avaient déjà construit leurs propres mosquées dans de grandes villes comme Beijing et Shanghai. Elles accomplissaient la prière entre elles les jours de semaine, et engageaient un imâm pour diriger la prière du vendredi. En général les musulmanes chinoises ont une personnalité et une détermination fortes. Elles s’engagent toujours fermement aux côtés de leurs coreligionnaires masculins pour faire face à n’importe quel défi. Le moment le plus terrifiant eut lieu durant le massacre du peuple Hui par l’armée communiste dans certains villages de la province du Yunnan. Dans le plan de riposte contre la milice, les musulmanes étaient équipées d’armes automatiques et s’étaient entrainées tout autant que leurs homologues du sexe opposé. Elles combattirent sans relâche, mais finirent par tomber aux côtés de leurs frères de foi et d’armes durant la bataille.

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Vers l’avenir

   D’après la banque mondiale, l’économie chinoise atteindra celle des Etats-Unis d’ici 2015. Si l’on combine les économies de la Chine, de Taïwan et de Hong-Kong, l’ensemble constituera l’économie la plus importante du monde d’ici dix à quinze ans. Avec une telle croissance, la société chinoise, tout comme les autres sociétés industrialisées, est confrontée au déclin rapide des valeurs traditionnelles, morales et sociales. C’est en partie à cause des 30 à 40 ans de destruction perpétrée par les communistes. De hautes qualités traditionnelles comme la politesse, la gentillesse, l’honnêteté envers autrui, le respect mutuel, la courtoisie et la loyauté envers famille, amis et la société en général ont été remplacées par de violentes luttes des classes maoïstes, engendrant cruauté et tromperie les uns envers les autres. Ceci entraina une dysharmonie et de vives tensions dont l’influence néfaste sur la société perdure encore.
Parallèlement au rapide développement économique, tous les problèmes sociaux de l’après-guerre qui engloutissent les sociétés occidentales sont devenus un phénomène courant en Chine. Une large distribution de supports pornographiques, la relance de la prostitution, l’utilisation croissante de drogues, l’accomplissement de crimes violents et la corruption institutionnalisée se développent tous à un degré jamais atteint. La société chinoise tend à se développer de façon déséquilibrée et matérialiste.

    Mise à part la libération économique et le progrès, très peu de faits sont à célébrer sur l’arène politique chinoise. La Chine est toujours sous le régime communiste le plus répressif et dictatorial qui soit. Les Chinois en général, et la communauté musulmane en particulier, ont été victimes de nombreuses violences et d’attaques barbares de la part du gouvernement. Ils n’ont aucune liberté pour propager leur religion, ils n’ont pas le droit de se réunir, de choisir où vivre et comment être instruit. L’ensemble de la population chinoise a très envie d’un grand changement. Le désir de liberté, de justice et de dignité ne peut être réprimé pour toujours. Récemment, la vaste étendue de corruption et le mécontentement de la population forcèrent le régime à mettre en place des sortes d’élections dans des administrations villageoises. Si les Chinois retrouvaient leur esprit traditionnel et leur ancienne sagesse, une société harmonieuse et tolérante pourrait renaître des cendres du système totalitaire communiste pour faire face aux défis du 21ème siècle.

    En ce qui concerne la question de savoir quel genre de stratégie la communauté chinoise et l’Islam en général envisagent d’adopter pour influencer l’avenir de la Chine, la réponse ne doit pas seulement provenir des musulmans chinois mais de l’ensemble de la Oumma. Le message islamique transmis par le Coran, prenant corps dans l’exemple parfait du Prophète Mouhammad , est le dernier communiqué divin ayant pour vocation d’unifier l’ensemble de l’humanité. Mais comment le transmettre de manière plus effective au reste du peuple chinois ? Allâh nous guide à travers Son Livre Saint : « Invite-les tous à la voie de ton Seigneur avec sagesse et belles paroles, et discute avec eux de la meilleure des façons, car ton Seigneur sait mieux qui dévie de Sa voie et qui reçoit la guidance. », s. 16 An-Nahl (Les Abeilles), v. 125. Cette entreprise nécessite donc une organisation méthodique et subtile à la fois…

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Cet article est inspiré des paroles de Soulaymâne Ma, né au nord-ouest de la Chine, où il était maître de conférences en psychologie éducationnelle avant de s’installer en Grande Bretagne. Il obtint son master en éducation à l’université de Manchester en 1992. Soulaymâne a consacré une grande partie de son temps à réveiller la conscience des musulmans aux souffrances et aux épreuves de la population musulmane chinoise. Il espère de ses coreligionnaires de part le monde un geste, quel qu’il soit, qui pourrait aider les musulmans chinois à mieux vivre leur Islam.

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