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   Au cours de l’Histoire, sont apparus maints mouvements dogmatiques, philosophiques, juridiques et politiques. L’Islam qui scelle toutes les autres religions monothéistes, n’échappe pas à certaines divisions qui ont autrefois touché les autres croyances :

en son sein, naîtront des divergences et polémiques qui ont parfois conduit à des combats sanglants. Ces derniers ne sont dus qu’à des mésententes inhérentes aux hommes, à leur raison, et non aux principes fondamentaux de la religion. Certaines contradictions sont légitimes, voire nécessaires ; d’autres sont prohibées par l’Islam, du fait de leur stérilité et de leur dangerosité pour l’intérêt général de la oumma : elles ne tirent leur origine que de l’acharnement des hommes pour la polémique et la chicanerie.

   La rubrique « Histoire de la pensée islamique » se propose de passer en revue les principaux mouvements islamiques apparus dans l’histoire de l’Islam, les causes de leur apparition, l’étendue et l’impact qu’ils ont eus, ainsi que les désaccords qui les ont opposés. Toutefois, il était auparavant opportun de consacrer le premier article de cette rubrique à l’examen des principales causes de division entre les humains d’une manière générale et les musulmans en particulier.

Les causes de divergence inhérentes à l’humain d’une manière générale

   Allâh a fait de la diversité une partie intégrante de notre existence : la nature des êtres vivants, leurs genres et leurs couleurs font de l’hétérogénéité le dénominateur commun de toute la création. La différence, source de richesse et de complémentarité, assure notre survie et témoigne de la grandeur et de l’unicité d’Allâh .
En ce qui concerne les idées et opinions, il y en a autant qu’il y a d’humains sur Terre, et cela va sans dire que les conflits d’opinions sont inévitables et monnaie courante. Les désaccords sont certes dus à la confrontation de caractères différents par nature, mais également à certains facteurs socio-politiques, causes majeures de mésentente. Voici cinq portes d’entrée de la divergence :

1 – Ambiguïté sur l’objet de divergence

    Il arrive qu’une polémique ne trouve aucune issue, car les différents intervenants ne se sont pas mis d’accord sur le thème de la discussion. Ainsi, cette citation de Platon illustre parfaitement ce genre de quiproquos : « Les gens n’ont pas toujours raison sur les différentes facettes d’une vérité et n’ont pas toujours tort sur ses différentes facettes. Ils sont en cela à l’instar d’un groupe d’aveugles qui a voulu décrire un éléphant ; celui qui a touché la patte prétend qu’il ressemble à un tronc d’arbre, celui qui a touché le dos prétend qu’il ressemble à une colline, celui qui a touché l’oreille prétend qu’il ressemble à une grosse feuille d’arbre. Chacun exprime ce qu’il a parfaitement découvert et chacun dément la définition de l’autre. Remarque comment la vérité les a rassemblés et comment l’erreur et le démenti les ont séparés. »

   Socrate allait plus loin : « Lorsqu’on connaît l’endroit [l’objet] du litige on exclut tout litige. », ce qui est une manière de dire que la polémique n’a pas lieu d’être si le sujet de départ est bien prédéfini.

2 – Diversité des besoins, des désirs et des tempéraments

   Les besoins et les désirs dessinent la personnalité de chacun d’entre nous. Ces deux particularités participent à déterminer notre appréciation du monde. Spinoza déclarait à ce propos : « Ce sont les désirs qui nous montrent la beauté des choses et non la raison. »

   Le tempérament regroupe les manières de penser et de réagir propres à chaque être humain. William James révélait comment la pluralité des caractères agit sur certaines sciences : « L’histoire de la philosophie c’est l’histoire de l’affrontement entre les tempéraments humains. La diversité des tempéraments a aussi une grande influence sur la littérature, l’art et la sagesse. »

3 – Diversité des tendances intellectuelles

   Des groupes socio-professionnels se forment suivant une certaine vision du monde. L’Homme porte un regard sur un sujet selon ses propres compétences et selon ses prédispositions intellectuelles. Le regard d’un médecin n’est ni celui d’un mathématicien, ni celui d’un astronome, ni celui d’un philosophe, ni celui d’un religieux …

4 – Imitation des prédécesseurs

   L’imitation aveugle des ancêtres traduit le besoin d’un cadre rassurant. Subséquemment, la pensée et l’analyse personnelles suivent une orientation qui se veut conforme aux traditions : cela explique l’apparition du fanatisme et de l’esprit clanique.

5 – Opportunisme et amour du pouvoir

   Les divergences politiques et les différentes formes de gestion sont généralement motivées par la course au pouvoir ; être au service des administrés n’est pas toujours la motivation première des prétendants aux hautes fonctions.
Le Prophète dit : « Ce que je crains le plus pour ma communauté, c’est un homme hypocrite qui possède une bonne langue et un mauvais cœur. Il attire les gens par sa parole et les égare par son ignorance. »

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Les causes de divergence spécifiques aux musulmans

   Le désaccord entre les musulmans a rarement porté sur les fondements de la religion tels que l’unicité de Dieu, la sacralité du Coran, la prophétie de Mouhammad , les fondements de la pratique, etc. Les contradictions relatives aux questions dogmatiques et politiques nuisent à l’harmonie de la communauté : les juifs se sont scindés en 71 groupes, les chrétiens en 72 et la communauté de Mouhammad se divisera en 73 tendances. La divergence sur des questions jurisprudentielles ne constitue pas un mal en elle-même, et ‘Omar Ibnou ‘Abd Al-Azîz dit à ce propos : « Je n’aurais pas aimé que les compagnons du Prophète ne divergeassent pas. Car s’il n’y avait qu’un seul avis, les gens seraient dans une gêne manifeste. Ils sont des guides que l’on doit suivre. Si on adopte l’avis de l’un d’entre eux, on aura suivi la sunna. »
Quelles sont donc les causes de divergences intrinsèques aux musulmans ?

1 – Ethnicité chez les Arabes

   Avant l’avènement de l’Islam, la péninsule arabe abritait maintes tribus, et un rien pouvait déclencher entre elles des disputes parfois armées et sanglantes. Les raisons d’oppositions étaient nombreuses, chaque clan se targuant d’appartenir à une lignée noble, méprisant et excluant les intrus.
L’Islam a combattu le racisme sous toutes ses formes. Dieu dit : « Ô hommes, Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allâh, est le plus pieux. Allâh est certes Omniscient et Grand Connaisseur.», s.49 Al-Houjourât (Les Appartements), v.13.

   Le Prophète dit : « Ne fait pas partie de ma communauté celui qui prône le racisme. » Il dit aussi : « Vous êtes tous d’Adam, et Adam provient de la terre, il n’y a pas de supériorité d’un Arabe sur un non Arabe (A’jamiy) si ce n’est par la piété.»
Ce racisme est resté latent jusqu’à l’époque de ‘Othmâne Ibnou Affâne , mais s’est aggravé plus tard entre les Omeyyades et les Hachémites. Cette xénophobie s’est amplifiée chez les kharijites « dissidents », issus des tribus Rabî’iyya, à l’encontre des tribus Modariyya.

2 – Conflit relatif à la khilâfah (le califat)

   Le problème du choix du calife a surgi dès le décès du Prophète entre Al-Ansâr et Al-Mouhâjirîn. La question de la lignée du chef des musulmans était au cœur du débat : pour obtenir l’autorité suprême, fallait-il appartenir à la lignée de ‘Ali Ibnou Abî Tâlib , à celle de Qoraych ou être tout simplement musulman ?

3 – Voisinage avec plusieurs religions

    La péninsule arabe étant entourée de plusieurs civilisations et religions, les musulmans ont côtoyé des personnes aux traditions et aux croyances diverses. La conversion de plusieurs chrétiens, juifs ou mages à l’Islam a amené des débats polémiques qui n’avaient jamais été abordés par le Prophète ou ses Compagnons : le destin relève-t-il d’un choix ou d’une soumission ? Est-ce que les attributs divins sont différents de l’Entité divine ou est-ce la même chose ? Celui qui commet un grand péché est-il toujours considéré comme croyant ? Le Coran est-il créé ou incréé ?

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   Pendant plusieurs siècles, les Perses ont exercé une suprématie politique et sociale qui a imprégné leur caractère. Après leur conversion, ils ont conservé un fort penchant pour le pouvoir.
À ces raisons s’ajoute la présence d’hypocrites, comme ‘Abdoullâh Ibnou Saba’, dont le dessein était de semer la zizanie au cœur de la communauté.

4 – Traduction de la philosophie

   Pendant la période Abbasside, la grande vague de traduction des livres de philosophies grecque et romaine a introduit de nouvelles notions dogmatiques dans la société musulmane.
L’apparition de la science de la spéculation (‘ilm al-kalâm), se basant notamment sur des règles philosophiques, a donné une place prépondérante à la raison quitte à contredire les textes scripturaires.

5 – Apparition des contes

   C’est à l’époque de ’Othmâne Ibnou ‘Affâne que l’art des récits d’aventures imaginaires s’est développé. Le sage ‘Ali Ibnou Abî Tâlib , anticipant les éventuelles déformations de la religion, a expulsé les conteurs des mosquées. Mais le phénomène du conte se généralisera durant la période omeyyade avec l’incorporation d’histoires israélites dans les exégèses du Coran et les livres d’histoire.

6 – Textes équivoques dans le Coran

   Par sa nature, le Coran comporte des versets explicites qui sont à la portée de tout le monde et des versets qui peuvent prêter à confusion, surtout pour ceux qui ne sont pas versés dans le savoir. Dieu dit à cet égard : « C’est Lui qui t’a révélé le Livre contenant des versets à la fois clairs et précis, qui en constituent la base même, ainsi que d’autres versets susceptibles d’être différemment interprétés. Et c’est à ces derniers versets que les sceptiques, avides de discorde prêtent des interprétations tendancieuses, alors que nul autre que Dieu n’en connaît la signification exacte. Quant aux vrais initiés, ils se contentent de dire :  » Nous croyons en ce Livre car tout ce qu’Il renferme vient de notre Seigneur ! » Ainsi, seuls sont enclins à méditer ceux qui sont doués d’intelligence. », s.3 Âl-‘Imrân (La Famille d’Imrâne), v.7.

7 – Extraction des lois juridiques

   Le Coran et la sunna sont les principales sources de la législation islamique. Les textes sont limités quantitativement alors que les cas exigeant l’émission d’un avis juridique sont nombreux et sans cesse renouvelés, en raison des contextes sociaux et/ou des avancées scientifiques. C’est de ce paradoxe que naissent les divergences jurisprudentielles entre les jurisconsultes, au moment où ceux-ci veulent extraire des lois détaillées à partir des règles fondamentales édictées par les textes scripturaires.

Toutes ces causes de conflit d’opinions ont conduit à l’apparition :

· de tendances politiques laissant apparaître des différences tangibles dans la communauté : Al-Khawârij, les Chi‘ites et les Mourji’ites ;
· de courants dogmatiques comportant des contradictions relevant de sujets plus théoriques que pratiques : Al-Mou’tazilah, Al-Jahmiyyah, Al-Qadariyyah, Al-Mourji’ah, Al-Achâ’irah, Al-Mâtoûrîdiyyah ;
· d’écoles jurisprudentielles (dont la divergence provient des causes citées en 6 et 7) qui représentent une miséricorde d’Allâh pour la communauté : les Hanafites, les Mâlikites, les Chafi‘ites, les Hanbalites et autres.

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