Sourate 83 Al-Moutaffifîne (Les Fraudeurs) (1/5)

Tafsir du Saint Coran (articles)

x87

بِسۡمِ ٱللهِ ٱلرَّحۡمَـٰنِ ٱلرَّحِيمِ

وَيۡلٌ۬ لِّلۡمُطَفِّفِينَ (١) ٱلَّذِينَ إِذَا ٱكۡتَالُواْ عَلَى ٱلنَّاسِ يَسۡتَوۡفُونَ (٢) وَإِذَا كَالُوهُمۡ أَو وَّزَنُوهُمۡ يُخۡسِرُونَ (٣) أَلَا يَظُنُّ أُوْلَـٰٓٮِٕكَ أَنَّہُم مَّبۡعُوثُونَ (٤) لِيَوۡمٍ عَظِيمٍ۬ (٥) يَوۡمَ يَقُومُ ٱلنَّاسُ لِرَبِّ ٱلۡعَـٰلَمِينَ (٦) كَلَّآ إِنَّ كِتَـٰبَ ٱلۡفُجَّارِ لَفِى سِجِّينٍ۬ (٧) وَمَآ أَدۡرَٮٰكَ مَا سِجِّينٌ۬ (٨) كِتَـٰبٌ۬ مَّرۡقُومٌ۬ (٩) وَيۡلٌ۬ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ لِّلۡمُكَذِّبِينَ (١٠) ٱلَّذِينَ يُكَذِّبُونَ بِيَوۡمِ ٱلدِّينِ (١١) وَمَا يُكَذِّبُ بِهِۦۤ إِلَّا كُلُّ مُعۡتَدٍ أَثِيمٍ (١٢) إِذَا تُتۡلَىٰ عَلَيۡهِ ءَايَـٰتُنَا قَالَ أَسَـٰطِيرُ ٱلۡأَوَّلِينَ (١٣) كَلَّا‌ۖ بَلۡۜ رَانَ عَلَىٰ قُلُوبِہِم مَّا كَانُواْ يَكۡسِبُونَ (١٤) كَلَّآ إِنَّہُمۡ عَن رَّبِّہِمۡ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ لَّمَحۡجُوبُونَ (١٥) ثُمَّ إِنَّہُمۡ لَصَالُواْ ٱلۡجَحِيمِ (١٦) ثُمَّ يُقَالُ هَـٰذَا ٱلَّذِى كُنتُم بِهِۦ تُكَذِّبُونَ (١٧) كَلَّآ إِنَّ كِتَـٰبَ ٱلۡأَبۡرَارِ لَفِى عِلِّيِّينَ (١٨) وَمَآ أَدۡرَٮٰكَ مَا عِلِّيُّونَ (١٩) كِتَـٰبٌ۬ مَّرۡقُومٌ۬ (٢٠) يَشۡہَدُهُ ٱلۡمُقَرَّبُونَ (٢١) إِنَّ ٱلۡأَبۡرَارَ لَفِى نَعِيمٍ (٢٢) عَلَى ٱلۡأَرَآٮِٕكِ يَنظُرُونَ (٢٣) تَعۡرِفُ فِى وُجُوهِهِمۡ نَضۡرَةَ ٱلنَّعِيمِ (٢٤) يُسۡقَوۡنَ مِن رَّحِيقٍ۬ مَّخۡتُومٍ (٢٥) خِتَـٰمُهُ ۥ مِسۡكٌ۬‌ۚ وَفِى ذَٲلِكَ فَلۡيَتَنَافَسِ ٱلۡمُتَنَـٰفِسُونَ (٢٦) وَمِزَاجُهُ ۥ مِن تَسۡنِيمٍ (٢٧) عَيۡنً۬ا يَشۡرَبُ بِہَا ٱلۡمُقَرَّبُونَ (٢٨) إِنَّ ٱلَّذِينَ أَجۡرَمُواْ كَانُواْ مِنَ ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ يَضۡحَكُونَ (٢٩) وَإِذَا مَرُّواْ بِہِمۡ يَتَغَامَزُونَ (٣٠) وَإِذَا ٱنقَلَبُوٓاْ إِلَىٰٓ أَهۡلِهِمُ ٱنقَلَبُواْ فَكِهِينَ (٣١) وَإِذَا رَأَوۡهُمۡ قَالُوٓاْ إِنَّ هَـٰٓؤُلَآءِ لَضَآلُّونَ (٣٢) وَمَآ أُرۡسِلُواْ عَلَيۡہِمۡ حَـٰفِظِينَ (٣٣) فَٱلۡيَوۡمَ ٱلَّذِينَ ءَامَنُواْ مِنَ ٱلۡكُفَّارِ يَضۡحَكُونَ (٣٤) عَلَى ٱلۡأَرَآٮِٕكِ يَنظُرُونَ (٣٥) هَلۡ ثُوِّبَ ٱلۡكُفَّارُ مَا كَانُواْ يَفۡعَلُونَ (٣٦ )

Au nom d’Allâh, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

   Malheur aux fraudeurs (1) qui, lorsqu’ils font mesurer pour eux-mêmes exigent la pleine mesure, (2) et qui lorsqu’eux-mêmes mesurent ou pèsent pour les autres, [leur] causent perte. (3) Ceux-là ne pensent-ils pas qu’ils seront ressuscités, (4) en un jour terrible, (5) le jour où les gens se tiendront debout devant le Seigneur de l’Univers ? (6) Non…! Mais en vérité le livre des libertins sera dans le Sijjîn – (7) et qui te dira ce qu’est le Sijjîn ? – (8) Un livre déjà cacheté (achevé). (9) Malheur, ce jour-là, aux négateurs, (10) qui démentent le jour de la Rétribution. (11) Or, ne le dément que tout transgresseur, pécheur (12) qui, lorsque Nos versets lui sont récités, dit : « [Ce sont] des contes d’anciens ! » (13) Pas du tout, mais ce qu’ils ont accompli couvre leurs cœurs. (14) Qu’ils prennent garde ! En vérité ce jour-là un voile les empêchera de voir leur Seigneur, (15) ensuite, ils brûleront certes, dans la Fournaise ; (16) on [leur] dira alors : « Voilà ce que vous traitiez de mensonge ! » (17) Qu’ils prennent garde ! Le livre des bons sera dans le ’Illiyoûn – (18) et qui te dira ce qu’est le ’Illiyoûn? – (19) un livre cacheté ! (20) Les rapprochés [d’Allâh: les Anges] en témoignent. (21) Les bons seront dans [un Jardin] de délice, (22) sur les divans, ils regardent. (23) Tu reconnaîtras sur leurs visages, l’éclat de la félicité. (24) On leur sert à boire un nectar pur, cacheté, (25) laissant un arrière-goût de musc. Que ceux qui la convoitent entrent en compétition [pour l’acquérir] (26) Il est mélangé à la boisson de Tasnîm, (27) source dont les rapprochés boivent. (28) Les criminels riaient de ceux qui croyaient, (29) et, passant près d’eux, ils se faisaient des œillades, (30) et, retournant dans leurs familles, ils retournaient en plaisantant, (31) et les voyant, ils disaient : « Ce sont vraiment ceux-là les égarés ». (32) Or, ils n’ont pas été envoyés pour être leurs gardiens. (33) Aujourd’hui, donc, ce sont ceux qui ont cru qui rient des infidèles (34) sur les divans, ils regardent. (35) Est-ce que les infidèles ont eu la récompense de ce qu’ils faisaient ? (36)

Présentation générale

   Il s’agit de la 83ème sourate selon l’ordre des souwar établi dans le Coran. Elle se compose de 36 versets que l’on peut regrouper en quatre parties :

   1ère partie (de la 1ère à la 6ème âya) : Dieu réprimande les fraudeurs et les menace en leur rappelant le jour où ils se tiendront debout devant Lui après la résurrection pour payer le prix de leurs fraudes.

   2ème partie (de la 7ème à la 17ème âya) : Dieu parle des égarés et des négateurs qui ne croient pas au jour de la rétribution et qui sont aveuglés par les jouissances de la vie. Il dévoile ensuite le châtiment qu’ils subiront dans l’au-delà et la frustration qu’ils ressentiront de ne pas pouvoir voir leur Seigneur.

   3ème partie (de la 18ème à la 28ème âya) : Dieu s’attarde sur les personnes pieuses dont la situation contraste diamétralement avec celle des égarés. Ces croyants profiteront des délices du paradis avec des visages rayonnant de félicité. Ils étancheront leur soif avec des boissons exceptionnellement savoureuses comme récompense à la rectitude observée sur le sentier de Dieu.

   4ème partie (de la 29ème à la 36ème âya) : Dieu mentionne le mal que subissent les croyants de la part des égarés. Ces derniers ne ratent aucune occasion pour se moquer des fidèles, mais dans l’au-delà, les rôles seront inversés, puisque les croyants pourront voir l’issue de leurs gausseurs, une fois le jugement ultime établi.

x88

   Conformément à cette présentation, le nombre de versets relatifs aux égarés équivaut exactement celui qui parle des pieux. Par ailleurs, la raillerie clôture la première partie de la sourate avec un questionnement moqueur qui vise directement les fraudeurs : « Ceux-là ne pensent-ils pas qu’ils seront ressuscités, (4) en un jour terrible, (5) le jour où les gens se tiendront debout devant le Seigneur de l’Univers ? (6) » ; et la dernière section de la sourate par une interrogation ironique adressée aux mécréants : « Est-ce que les infidèles ont eu la récompense de ce qu’ils faisaient ? (36) »

Origine et descente

   Selon Mouqâtil, cette sourate est médinoise. Selon Ibnou ‘Abbâs et Qatâda, sourate Al-Moutaffifîne est médinoise, excepté les 8 derniers versets révélés à la Mecque (à partir du verset 29).

   Jâbir Ibnou Zayd (21H-93H) élève d’Ibnou ‘Abbâs – les ibadites prétendent qu’il est leur chaykh, mais des chercheurs ont montré qu’il s’innocentait de l’appartenance à la pensée ibadite et Al-Kalbî (né en 721H à Granada et mort en 757H à Fès) dans son tafsîr At-tasshîl fî ‘ouloumi at-tanzîl – certains chercheurs disent que ce tafsîr est à son père Aboû-l-Qâsim Ibnou Jouzay –, pensent également qu’une partie de cette sourate fut révélée à la Mecque et que l’autre fut transmise à Médine.

DE GRANDES FIGURES DE L’EXEGESE PARMI LES SUCCESSEURS

Mouqâtil

Lorsqu’il est fait mention de Mouqâtil en matière de tafsîr, il s’agit en fait de Mouqâtil Ibnou Soulaymâne Al-Azdî ; il est mort en 150H. Il est un des premiers auteurs d’exégèse du Coran. Son livre de tafsîr est constitué de trois volumes. Il prétend avoir appris l’exégèse de Moujâhid Ibnou Jabr et d’Ad-Dahhâk Ibnou Mouzâhim Al-Hilâlî.

L’imâm Ach-Châfi‘î est clair à son sujet : « Celui qui cherche l’exégèse, qu’il revienne à Mouqâtil ».

Ibnou Moubârak dit à propos de son exégèse : « Quelle excellente exégèse si on y trouvait “on nous a rapporté” » et il dit aussi : « Quel bon érudit s’il avait l’isnâd (les chaînes de transmission) » ; il rapportait en effet trop de contes des Banoû Isrâ’îl. Certains savants qualifient même ce qu’il rapporte de mensonge.

Moujâhid

Né en 21H et décédé en 104H, Moujâhid a beaucoup rapporté sur Ibnou ‘Abbâs . Il a récité tout le Coran trois fois devant ce noble Compagnon et à chaque verset, il lui demandait une explication complète. Il a aussi rapporté sur ‘Â’icha , Aboû Hourayra , Sa‘d Ibnou Abî Waqqâs , Jâbir Ibnou ‘Abdillâh , ‘Abdoullâh Ibnou ‘Omar  et Aboû Sa‘îd Al-Khoudrî.

Sofiâne Ath-Thawrî (97-161H) avait établi une liste des figures incontournables en exégèse : « Prenez le tafsîr de quatre personnes : Moujâhid, Sa‘îd Ibnou Joubayr, ‘Ikrima et Ad-Dahhâk ».

‘Ikrima

‘Ikrima Ibnou ‘Abdillâh Al-Barbarî Al-Madânî (mort en 105H) a apprit de ‘Abdoullâh Ibnou ‘Abbâs RDA (mort en 68H) et de plusieurs Compagnons. Il est une référence en exégèse du Coran, mais il est devenu khârijite. Certains savants considèrent que malgré ce revirement, il restait véridique dans ce qu’il rapportait comme ahâdîth. Toutefois, d’autres savants tels que l’imâm Mâlik le considèrent comme un rapporteur faible.

Ad-Dahhâk

Il s’agit d’un tâbi‘i (successeur), mort en l’an 100H ; il a appris d’Anas Ibnou Mâlik , d’Ibnou ‘Omar  et d’Aboû Hourayra , mais il n’a rien rapporté d’Ibnou ‘Abbâs  comme certains le prétendent.

x89

   An-Nassâ’î rapporte sur Ibnou ‘Abbâs  cette confirmation : « Lorsque le Prophète  est arrivé à Médine, les habitants étaient les pires gens en matière d’escroquerie au niveau de l’évaluation des quantités. Dieu a donc révélé Al-Moutaffifîne. Ils ont ensuite été bons dans la mesure après cela. »

   On a rapporté aussi d’après Ibnou ‘Abbâs  : « La première sourate qui fut révélée au Messager lorsqu’il vint à Médine est celle d’Al-Moutaffifîne, car la fraude était répandue chez les Médinois. Lorsqu’ils achetaient, ils utilisaient la pleine mesure et quand ils vendaient, ils trichaient dans la mesure ou dans la pesée. Mais lorsque cette sourate est descendue, ils se sont abstenus. Ils sont jusqu’à aujourd’hui les plus fidèles à la juste mesure. »

   D’aucuns disent que cette sourate est descendue à propos d’un homme qui s’appelait Aboû Jouhayna (‘Amr de son véritable nom). Il possédait deux récipients de mesure, il achetait en utilisant l’un et vendait en se servant de l’autre.

   Al-Jarbarî, un savant chafi‘ite (640-732H), affirme que toute sourate dans laquelle figure le mot « kallâ : كَلّا » est une sourate mecquoise.

   Avec ces divergences au sujet de l’origine de la révélation de la sourate, il est plus probable que les six premiers versets furent révélés à Médine et qu’à partir du septième verset (où se trouve le mot « kallâ : كَلّا ») jusqu’à la fin, cette partie fut révélée à la Mecque.

Champ lexical

Verset 1 : Malheur aux fraudeurs

وَيۡلٌ۬ لِّلۡمُطَفِّفِينَ

   D’après Ibnou ‘Abbâs , le mot « wayl : وَيْل » est le nom d’un fleuve de l’enfer dans lequel coule le pus des châtiés.

   Selon cette explication, Dieu promet donc aux fraudeurs l’entrée en enfer où ils boiront de ce fleuve et l’alimenteront par le pus qui sortira de leur corps sous l’effet des brûlures. Ce fleuve se trouverait dans le plus bas degré de l’enfer.

   Le châtiment concorde parfaitement avec le péché : comme les fraudeurs ont triché en diminuant le volume ou le poids de ce qu’ils vendaient, ils seront les plus avilis en enfer et mériteront le plus bas degré de la géhenne, où se trouve ce fleuve wayl.

   Le mot « wayl : وَيْل » supporte une autre interprétation. Il est une supplication ou une invocation formulée contre quelqu’un pour que celui-ci tombe dans une mauvaise posture. Etant donné que Dieu l’utilise en l’occurrence, c’est une certitude : il est évident que celui contre qui il est prononcé aura une issue dramatique.

   « Al-Moutaffifîne : المُطَفِّفين » (les fraudeurs) vient du mot « at-tatfîf : التَّطْفيف » qui est le substantif du verbe « taffafa : طَفَّفَ ». Ce verbe signifie : diminuer une partie de la quantité souhaitée en poids ou en volume (al-kayl : الكَيْل).

   « At-toufâf : الطُّفاف » correspond à la contenance manquante de nourriture ou de boisson nécessaire pour remplir un récipient.

   Les mots « at-toufâf : الطُّفاف », « at-toufâfa : الطُّفافَة » et « at-taf : الطَّفّ » désignent également le surplus qui s’ajoute à la quantité désirée d’un produit pesé ou mesuré.

   Le verbe « taffafa : طَفَّفَ » a la forme de « fa‘aala : فَعَّلَ ». Cette forme implique un effort dans l’action. En effet, « al-moutaffif : المُطَفِّف» (singulier d’al-moutaffifîne : المُطَفِّفين) pèse et mesure en deçà de la quantité voulue de manière rusée pour que l’acheteur ne remarque pas la fraude. En général, il retranche une petite dose. Or, le mot « tafîf : طَفِيف » signifie en arabe une petite quantité (qalîl : قَلِيل).

    D’après ‘Abdelmalik Ibnou Al-Mâjidoûn, le Prophète  a interdit de raser le récipient de mesure lorsqu’on le remplit et il a dit : « La baraka (la bénédiction) est dans ce qui dépasse ». Puis Ibnou Al-Mâjidoûn dit : « Il m’a été rapporté que la mesure de pharaon se faisait en rasant le bord par une pièce de fer. »

Verset 2 : qui, lorsqu’ils font mesurer pour eux-mêmes exigent la pleine mesure,

ٱلَّذِينَ إِذَا ٱكۡتَالُواْ عَلَى ٱلنَّاسِ يَسۡتَوۡفُونَ

   Le verbe conjugué « iktâloû :  إكۡتَالُواْ» dont l’infinitif est « iktâla : إِكْتالَ » porte la forme de « ifta‘ala : إِفْتَعَلَ », tels que les verbes :

– « ibtâ‘a : إِبْتَاعَ » (acheter ce qui est vendu), en opposition avec « bâ‘a : باعَ » (vendre),

– « irtahana : إِرْتَهَنَ » (prendre l’hypothèque), le contraire du verbe « rahana : رَهَنَ » (hypothéquer son bien),

– « ichtarâ : إِشْتَرَى » (acheter), l’inverse de « charâ : شَرَى » (vendre), etc.

   Donc « iktâla : إِكْتَالَ » est l’opposé du verbe « kalâ : كَلى » qui sera utilisé dans le verset 3. Or, « kâla : كاَل » signifie « mesurer » (pour l’acheteur) ; « iktâla : إِكْتالَ » signifie donc « faire peser un bien que l’on veut acheter ».

    D’habitude on dit « iktâla min foulân : إِكْتالَ مِنْ فُلان » : il s’est fait mesurer la marchandise qu’il veut acheter d’untel. Mais dans le verset, Dieu utilise le mot « ‘alâ : عَلى » (sur) au lieu de « min : مِنْ » (de). En effet, le mot « ‘alâ : عَلى » (sur) dans ce genre de formulation véhicule une idée de domination et de supériorité. Ce verset signifie que lorsque les gens veulent acheter une marchandise, ils insistent et exigent avec force que le vendeur leur assure la pleine mesure. Leur exigence s’accompagne d’une certaine arrogance notoire. Si Dieu avait utilisé « min : مِنْ » (de) au lieu de « ‘alâ : عَلى » (sur), cette phrase ne traduirait pas l’outrecuidance de ces gens au moment où ils revendiquent la pleine mesure de leur vendeur.

    Ce type de formulation avec « ‘alâ :  عَلى» (sur) plutôt qu’avec une autre préposition est largement utilisée dans le Coran. Dieu dit par exemple :

   « jusqu’au jour où Nous ouvrîmes sur eux (et non pas pour eux) une porte au dur châtiment […] », s.23 Al-Mou’minoûn (Les Croyants), v.77.

[…] حَتَّىٰٓ إِذَا فَتَحۡنَا عَلَيۡہِم بَابً۬ا ذَا عَذَابٍ۬ شَدِيدٍ

   Le châtiment domine en effet les châtiés, d’où l’utilisation de « ‘alayhim : عَلَيهِم » (sur eux) plutôt que « lahoum : لَهُم » (pour eux).

« Il a envoyé sur eux des oiseaux par volées. », s.105 Al-Fîl (L’Éléphant), v.3.

وَأَرۡسَلَ عَلَيۡہِمۡ طَيۡرًا أَبَابِيلَ

« Et Nous avons alors envoyé sur eux l’inondation, les sauterelles, les poux (ou la calandre), les grenouilles et le sang comme des signes explicites. […] », s.7 Al-A‘râf, v.133.

[…]فَأَرۡسَلۡنَا عَلَيۡہِمُ ٱلطُّوفَانَ وَٱلۡجَرَادَ وَٱلۡقُمَّلَ وَٱلضَّفَادِعَ وَٱلدَّمَ ءَايَـٰتٍ۬ مُّفَصَّلَـٰتٍ۬

   Donc, dans le verset 2, Dieu dénonce explicitement la férule que ces gens exerçaient sur le vendeur par leurs paroles et leurs ruses pour obtenir davantage que ce qui leur était dû. C’était le cas d’Aboû Jouhayna qui utilisait un grand récipient pour ses achats et un autre contenant plus petit pour ses ventes.

   Le verbe « yastawfoûn : يَسْتَوفُون » traduit tout à fait l’exigence de respecter la pleine mesure. Il est dérivé de« waffâ : وفَّى » qui signifie « honorer l’engagement » ou « honorer ce qui est demandé de faire ». Dieu l’utilise ailleurs dans le Coran : « Et celles d’Ibrâhîm qui a tenu parfaitement [sa promesse de transmettre] », s.53 An-Najm (L’Étoile), v.37.

وَإِبۡرَٲهِيمَ ٱلَّذِى وَفَّىٰٓ

Verset 3 : et qui lorsqu’eux-mêmes mesurent ou pèsent pour les autres, [leur] causent perte.

وَإِذَا كَالُوهُمۡ أَو وَّزَنُوهُمۡ يُخۡسِرُونَ

   Une meilleure traduction serait : « et lorsqu’ils mesurent ou pèsent, ils causent la perte ».

   L’infinitif « kâla : كالَ » signifie « mesurer » (en volume) et « wazana : وَزَنَ » veut dire « peser » (le poids).

   La grammaire arabe identifie « kâla lahou : كالَ لَهُ » (mesurer pour lui) et « wazana lahou : وَزَنَ لَهُ » (peser pour lui) comme étant les normes à suivre, mais les Arabes du Hijâz ont pris l’habitude d’éliminer la lettre « ل » et de dire directement « kâlahou : كالَهُ » et wazanahou : وَزَنَهُ».

   Idem pour le verbe « naçahahou : نَصَحَهُ » (il l’a conseillé) au lieu de « naçaha lahou : نَصَحَ لَهُ » ; on dit aussi « chakarahou : شَكَرَهُ » (il l’a remercié) au lieu de « chakara lahou : شَكَرَ لَهُ »

   De même lorsque Dieu dit : « […] Et si vous voulez mettre vos enfants en nourrice […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.233.

[…] وَإِنۡ أَرَدتُّمۡ أَن تَسۡتَرۡضِعُوٓاْ أَوۡلَـٰدَكُمۡ […]

Au lieu de dire : وَإِن أَرَدتُّم أَن تَستَرضِعُواْ لِأَولَـٰدَكُم

   Le lecteur peut légitimement se demander pourquoi dans le deuxième verset Dieu ne parle que de la mesure en volume alors que dans ce verset, Il parle et de la mesure en volume et de la pesée. Dans le verset 2, Dieu fait en fait référence à des fraudeurs parmi les commerçants ; tandis que dans le verset 3, Il dévoile les mauvaises habitudes des gens  qui achetaient les dattes ou les céréales directement chez les paysans en mesurant le volume des produits grâce à des récipients. Pour payer la marchandise, ils pesaient en contrepartie de l’or ou de l’argent dans des contenants prévus à cet effet : ils trompaient donc les vendeurs à chaque étape sans vergogne.

   Certains savants tels que ‘Îssâ Ibnou ‘Omar considèrent « kâloû houm : كالو هُمْ » comme deux mots séparés, tout comme « wazanoû houm : وَزَنو هُمْ ». Ils autorisent l’arrêt sur « kaloû : كالو » ou sur « wazanoû : وَزَنو» puis la reprise avec « houm :  هُمْ» isolément, comme pour dire « lorsqu’ils mesurent, eux » ou « lorsqu’ils pèsent, eux ». Cette possibilité est rapportée sur Hamza.

   D’autres savants ne permettent pas cette coupure, puisqu’il n’y a pas de alif à la fin de « kâloû : كالو » ou « wazanoû : وَزَنو», donc ces mots ne peuvent qu’être attachés au pronom « houm :  هُمْ». D’autant plus que si cette dérogation était possible, Dieu aurait dit « s’ils mesurent ou pèsent, ils causent la perte ».

   Le verbe « youkhsiroûn : يُخْسِرون » vient de « al-khasâra : الخَسارَة » (la perte). Ce mot peut supporter deux significations :

– ils causent la perte à leurs clients ;

– ils diminuent la quantité mesurée ou pesée. « youkhsiroûn : يُخْسِرون » a donc la même signification que « younqasoûn : يُنْقَصون » (diminuer).

   Ces trois versets mettent en garde toute personne qui ne fait pas preuve d’honnêteté dans son commerce et qui trompe ses clients d’une manière ou d’une autre. Ces âyât (signes) furent révélés dès que le Prophète  arriva à Médine. Cette ponctualité dans la transmission montre que l’Islam non seulement évalue les égarements et les dérives de la société, mais il offre également des solutions concrètes pour les combattre dès que le besoin se fait sentir. La première solution pour résoudre ces problèmes revient à ancrer profondément la foi dans le cœur de ces personnes et leur rappeler le retour à Dieu dans l’au-delà. La répression légale et physique peut diminuer les fraudes et les dérives d’une société, mais elle doit être avant tout spirituelle pour réformer les êtres de l’intérieur.

   Dans un hadîth rapporté par Al-Bazzâr et l’imâm Mâlik, Ibnou ‘Abbâs  rapporte ces paroles du Prophète  : « Cinq par cinq. À chaque fois que les gens trahissent un engagement, Allâh les éprouve par leur ennemi. À chaque fois qu’ils gouvernent par autre que ce que Dieu a descendu, la pauvreté se répand chez eux. À chaque fois que la turpitude s’étend entre eux, la peste apparaît chez eux. À chaque fois qu’ils fraudent dans la mesure, la disette s’empare d’eux. À chaque fois qu’ils ne s’acquittent pas de la zakât, Dieu retient la pluie qui doit tomber sur leur terre. »

   Ibnou ‘Omar  passait devant les vendeurs et ne manquait pas de les mettre en garde : « Craignez Dieu et assurez la pleine mesure avec équité, car les fraudeurs seront maintenus debout le jour de la résurrection jusqu’à ce que la sueur les noie jusqu’au niveau de leurs oreilles. »

Versets 4-5 : Ceux-là ne pensent-ils pas qu’ils seront ressuscités, en un jour terrible

أَلَا يَظُنُّ أُوْلَـٰٓٮِٕكَ أَنَّہُم مَّبۡعُوثُونَ لِيَوۡمٍ عَظِيمٍ۬

   Ces versets interrogatifs marquent le reproche et l’étonnement face à la méconnaissance manifeste du châtiment qui attend les fraudeurs dans l’au-delà. Pour certains savants, le mot « adh-dhann : الظَّنّ » dans ce verset (yadhounnou : يَظُّنُّ) indique la certitude et non pas le doute ou la conjoncture. Celui qui possède la foi doit croire avec certitude à la résurrection et au jugement. D’aucuns pensent que le simple doute concernant la résurrection doit pousser l’homme à la droiture.

   L’utilisation d’une phrase nominale a plus d’impact qu’une phrase verbale car la première a plus de force et implique plus de certitude que la seconde.

   Le verset 5 « liyawmin ‘adhîm : لِيَوْمٍ عَظِيم » (en un jour terrible) marque la gravité de ce jour, qui est elle-même liée à la grandeur des événements qui le ponctuent : la résurrection (al-ba‘th : البَعْث), l’exposition (al-‘ard : العَرْض), le jugement (al-hissâb : الحِساب), la balance (al-mîzâne : الميزان), etc.

Verset 6 : le jour où les gens se tiendront debout devant le Seigneur de l’Univers ?

يَوۡمَ يَقُومُ ٱلنَّاسُ لِرَبِّ ٱلۡعَـٰلَمِينَ

   Zayd Ibnou ‘Alî lisait : « yawmoun : يَوْمٌ », d’autres ont lu « yawmin : يَوْمٍ».

   Après la résurrection, les gens resteront debout à attendre le jugement. D’après certains récits, cette attente durera 40 ans, et selon d’autres, elle s’étendra jusqu’à 300 ans.

   Ibnou Jarîr rapporte d’après Aboû Hourayra  que le Prophète  questionna un jour Bachir Al-Ghifârî :

« ― Comment feras-tu le jour où les gens seront debout 300 ans devant le Seigneur de l’Univers ? Aucune nouvelle ne leur parviendra du ciel ni aucun ordre ne sera donné.

― Celui à qui on demande l’aide est Allâh, répondit Bachir.

― Lorsque tu vas au lit, demande protection à Dieu contre les difficultés du jour de la résurrection et l’issue du jugement », conclut le Prophète .

   Mouslim et At-Tirmidhî rapportent ces propos d’Al-Miqdâd Ibnou-l-Aswad Al-Kindî : « J’ai entendu le Messager de Dieu  dire : “Le jour de la résurrection, le soleil sera proche des gens jusqu’à ce qu’il soit à un ou deux miles”. Il dit ensuite : “Le soleil les brûlera alors et ils auront de la sueur qui les couvrira proportionnellement à leurs œuvres : pour certains elle arrivera aux talons, pour d’autres aux genoux, pour d’autres encore au bassin et certains seront engloutis dedans.” »

   Le mile « al-mîl : الميل » en arabe a plusieurs significations. Il représente le bâton qui sert à l’application du khôl dans les yeux, mais aussi la surface de terre qui sépare deux montagnes et enfin la distance qui sépare une personne de l’horizon qu’elle observe.

   Théologiquement, le mile correspond à 4 000 coudées, soit 1855 m pour les hanafites ; 3 500 coudées pour les mâlikites et 6 000 coudées (3 710 m) pour les hanbalites et les chafi‘ites.

   Dans les sounan d’Aboû Dâwoûd, il est rapporté que le Prophète  demandait toujours protection contre le rétrécissement de l’endroit où attendront les gens ressuscités le jour du jugement.

Archives

Catégories

Poser une question

Mettre un lien vers formulaire de contact