Sourate 83 Al-Moutafiffîne (Les Fraudeurs) (2/5)

Tafsir du Saint Coran (articles)

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Verset 7 : Non…! Mais en vérité le livre des libertins sera dans le Sijjîn

كَلَّآ إِنَّ كِتَـٰبَ ٱلۡفُجَّارِ لَفِى سِجِّينٍ۬

   L’exclamation « kallâ : كَلّا » est un mot-outil qui dément le discours des mécréants : ils prétendent que la résurrection n’aura pas lieu et que leurs œuvres ne seront pas jugées.

   Dieu leur confirme que tous leurs excès sont inscrits dans un livre bien protégé (kitâb : كِتاب) ; d’ailleurs ce terme fait également référence aux œuvres.

   Le mot « foujjâr : فُجّار » est le pluriel de « fâjir : فاجِر » qui veut dire « dissident », « celui qui quitte », « ce qui jaillit ». Dieu emploie le verbe correspondant dans le Coran : « Et rappelez-vous quand Moïse demanda de l’eau pour désaltérer son peuple, c’est alors que Nous dîmes : “Frappe le rocher avec ton bâton” Et tout d’un coup, douze sources en jaillirent […] », s.2 Al-Baqara (La Génisse), v.60.

[…]وَإِذِ ٱسۡتَسۡقَىٰ مُوسَىٰ لِقَوۡمِهِۦ فَقُلۡنَا ٱضۡرِب بِّعَصَاكَ ٱلۡحَجَرَ‌ۖ فَٱنفَجَرَتۡ مِنۡهُ ٱثۡنَتَا عَشۡرَةَ عَيۡنً۬ا‌ۖ

   C’est également de cette racine que découle le nom de la prière « al-fajr : الفَجْر », car à ce moment précis, les ténèbres se séparent de la lumière, la clarté jaillit de l’obscurité.

« Al-foujoûr : الفُجور » s’emploie pour désigner des paroles inélégantes proférées dans un contexte de dispute. Ce terme s’applique également pour parler de l’adultère ou de tout autre acte déviationniste.

   Mais dans ce verset, « al-foujoûr : الفُجور » représente ceux qui ont dévié du chemin de Dieu soit par la mécréance, soit par la fraude.

   En ce qui concerne le terme « sijjîn : سِجِّين », il trouve sa racine dans le nom commun « sijn : سِجْن », qui signifie « prison ». Mais même si « sijjîn : سِجِّين  » prend sa source dans la langue du ض, il n’était pas utilisé par les Arabes.

   La caractéristique principale d’un établissement carcéral se définit par une détention plus ou moins longue mais ferme d’un prisonnier. Dans un esprit identique, le Livre qui compte les péchés des négateurs et des fraudeurs est bien protégé, et aucune des informations qu’il contient ne peut s’en échapper.

   Les savants ont divergé quant à la signification de ce mot tel qu’il est employé dans le Coran :

– pour certains, il s’agit d’un fleuve de l’enfer ;

– selon d’autres, il désigne la septième strate, le lieu le plus bas des sept terres que Dieu a créées ;

– d’aucuns pensent qu’il s’agit de l’endroit où se trouvent Iblîs et sa descendance, et qu’il vit dans la septième terre ;

– un certain nombre parlent d’une pierre située dans la septième terre, en-dessous de laquelle sont cachés les livres des individus voués à l’enfer à cause de leurs œuvres.

– d’après d’autres exégètes, « sijjîn : سِجِّين » est un puits ouvert en l’enfer dans lequel sont stockés les livres des châtiés.

En se référant au verset 18 de cette même sourate – qui parle de l’issue des pieux – il est évident que « sijjîn : سِجِّين » fait effectivement référence à un endroit très bas puisque les livres des pieux se trouvent dans un endroit élevé en hauteur : « […] Le livre des bons sera dans le ’Illiyoûn », or le mot « ‘illiyoûn : عِلِّيُون » comme il sera précisé plus bas, découle du mot « ‘oulouw : عُلُوّ » qui signifie « hauteur, élévation ».

   Dieu parle clairement d’un degré inférieur au superlatif : « Ensuite, Nous l’avons ramené au niveau le plus bas. », s.95 At-Tîn (Le Figuier), v.5.

ثُمَّ رَدَدۡنَـٰهُ أَسۡفَلَ سَـٰفِلِينَ

   Ceci est encore confirmé par le verset 13 de sourate Al-Fourqâne (Le Discernement) dans lequel Dieu décrit : « Et quand on les y [enfer] aura jetés, dans un étroit réduit, les mains liées derrière le cou, ils souhaiteront alors leur destruction complète. »

وَإِذَآ أُلۡقُواْ مِنۡہَا مَكَانً۬ا ضَيِّقً۬ا مُّقَرَّنِينَ دَعَوۡاْ هُنَالِكَ ثُبُورً۬ا

   Or, le fait de jeter ces gens dans cet endroit est une preuve évidente de la bassesse et de la profondeur strictement physiques de la demeure des châtiés. De plus, le mot « sijjîn : سِجِّين » véhicule un sens d’exigüité qui rappelle celle des prisons les plus étroites. En réalité, parler du lieu où se trouvent les livres des mécréants est une manière détournée de mentionner  leur issue, qui est exactement le même endroit.

   Versets 8-9 : et qui te dira ce qu’est le Sijjîn ? Un livre déjà cacheté (achevé).

وَمَآ أَدۡرَٮٰكَ مَا سِجِّينٌ۬ (٨) كِتَـٰبٌ۬ مَّرۡقُومٌ۬

   Dans ce passage, Dieu emploie « sijjîn : سِجِّين » pour désigner le livre, alors que dans le verset précédent, « sijjîn : سِجِّين » est considéré comme l’endroit où se trouvent les recueils compilant les œuvres des châtiés. Pour expliquer cette contradiction apparente, deux interprétations sont possibles :

– « sijjîn : سِجِّين » est un nom attribué aux deux éléments : il désigne à la fois les livres et l’endroit où ils se trouvent ;

– la question « et qui te dira ce qu’est le sijjîn ? » peut être considérée comme une parenthèse entre le verset 7 et le verset 9. Dieu informe en effet que le livre des libertins est dans le sijjîn et que ce livre est déjà cacheté.

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    Le verset 8 a pour but de montrer la peur et la terreur (at-tahwîl : التَّهْوِيل) qu’évoque le sijjîn (lieu) grâce à l’utilisation de l’expression « mâ adrâka : ما أدْراكَ ». Cette formule s’apparente à « mâ youdrîka : ما يُدْريكَ » que le Coran emploie également.

   À ce propos, il a été rapporté sur Ibnou ‘Abbâs  qu’il a dit : « Dans tous les endroits du Coran où il est dit “mâ adrâka : ما أدْراكَ (qui te dira)”, Dieu a montré au Prophète . Quant aux passages où il est dit “mâ youdrîka : ما يُدْريكَ (qu’en sais-tu)”, Dieu lui a voilé la réponse. »

   En effet, « mâ youdrîka : ما يُدْريكَ » n’est utilisé qu’à trois reprises dans le Coran.

– deux occurrences au sujet de l’Heure (de la fin du monde) :

« Les gens t’interrogent au sujet de l’Heure. Dis : “Sa connaissance est exclusive à Allâh”. Qu’en sais-tu ? Il se peut que l’Heure soit proche. », s.33 Al-Ahzâb (Les Coalisés), v.63.

يَسۡـَٔلُكَ ٱلنَّاسُ عَنِ ٱلسَّاعَةِۖ قُلۡ إِنَّمَا عِلۡمُهَا عِندَ ٱللَّهِۚ وَمَا يُدۡرِيكَ لَعَلَّ ٱلسَّاعَةَ تَكُونُ قَرِيبًا

« C’est Allâh qui a fait descendre le Livre en toute vérité, ainsi que la balance. Et qu’en sais-tu ? Peut-être que l’Heure est proche ? », s.42 Ach-Choûrâ (La Consultation), v.17.

ٱللَّهُ ٱلَّذِىٓ أَنزَلَ ٱلۡكِتَـٰبَ بِٱلۡحَقِّ وَٱلۡمِيزَانَ‌ۗ وَمَا يُدۡرِيكَ لَعَلَّ ٱلسَّاعَةَ قَرِيبٌ۬

   Dans ces deux cas, Dieu fait allusion à l’Heure, dont l’arrivée n’est connue que de Lui-même.

   La troisième circonstance correspond à la réprimande adressée au Prophète  lorsque celui-ci s’est renfrogné devant l’aveugle ‘Abdoullâh Ibnou Oummi Maktoûm  : « Qui te dit : peut-être cherche-t-il à se purifier ? ou à se rappeler en sorte que le rappel lui profite ? », s.80 ‘Abassa (Le Renfrogné), v.3-4.

وَمَا يُدۡرِيكَ لَعَلَّهُ ۥ يَزَّكَّىٰٓ (٣) أَوۡ يَذَّكَّرُ فَتَنفَعَهُ ٱلذِّكۡرَىٰٓ

   Effectivement, le Prophète  ignorait si ce Compagnon souhaitait lui poser une question importante ou non.

   Quant à l’expression « mâ adrâka : ما أدْراكَ », elle est utilisée treize fois dans le Coran pour :

– parler de l’enfer : « saqar : سَقَر » (s.74, v.27), « sijjîn : سِجِّين » (s.83, v.8), « al-houtama : الحُطَمَة » (s.104, v.5), « nâroun hâmiya : نارٌ حامِيَة » (feu ardent) (s.101, v.10-11);

– aborder la fin du monde : le fracas (al-qâri‘a : القارِعَة) (s.101, v.3), l’inévitable (al-hâqqa : الحاقَّة) (s.69, v.3);

– évoquer le jour du jugement (yawm ad-dîn : يَوم الدّين) (s.82, v.17), le jour de la décision (yawm-l-façl : يَوم الفَصْل) (s.77, v.14);

– traiter du paradis (‘illiyoûn : عِلِّيُّونَ) (s.83, v.19);

– mentionner la nuit du destin (laylatou-l-qadr : لَيْلَة القَدْر) (s.97, v.2) ;

– faire allusion à l’astre nocturne (at-târiq : الطَّارِق) (s.86, v.2) ;

– considérer la voie difficile des bonnes œuvres (al-‘aqaba : العَقَبَة) (s.90, v.12).

   Or dans ce contexte, Dieu a expliqué à Son Messager chacun des éléments cités après l’expression « et qui te dira ? » (wa mâ adrâka).

  Quant au verset 9 « un livre cacheté, achevé » (كِتَـٰبٌ۬ مَّرۡقُومٌ۬), l’étude du champ lexical est la suivante :

« marqoûm : مَرْقوم » signifie que ce livre est déjà écrit et achevé, rien ne peut y être ajouté ou retranché.

– littéralement, « marqoûm » est un participe passé signifiant « écrit ». Il provient du mot « ar-raqm : الرّقْم » qui est un synonyme d’« écriture » (al-kitâba : الكِتابَة) ;

– pour les membres de la tribu de Hymyar (حِميَر), « ar-raqm : الرّقْم » est un équivalent de « cachet » (al-khatm : الخَتْم).

   Ces deux significations concordent parfaitement avec le sens du verset puisque les livres qui compilent les preuves relatives aux actions humaines sont écrits par les anges et ne peuvent être modifiés. Dieu dit : « Alors que veillent sur vous des gardiens, de nobles scribes. », s.82 Al-Infitâr (La Rupture), v.10-11.

وَإِنَّ عَلَيۡكُمۡ لَحَـٰفِظِينَ (١٠) كِرَامً۬ا كَـٰتِبِينَ

Versets 10-11 : Malheur, ce jour-là, aux négateurs, (10) qui démentent le jour de la Rétribution.

وَيۡلٌ۬ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ لِّلۡمُكَذِّبِينَ (١٠) ٱلَّذِينَ يُكَذِّبُونَ بِيَوۡمِ ٱلدِّينِ

   Le verset 10 est en rapport avec le verset 5, dans lequel Allâh  parle du jour terrible (yawmoun ‘adhîm : يَوْمٌ عَظيم). Il donne des informations sur l’issue des négateurs : leur fin se fera inéluctablement dans le « wayl : وَيْل ». Al-wayl peut soit être le fleuve de l’enfer, soit le malheur qu’ils subiront par le châtiment.

   Malheur donc aux négateurs le jour où le livre qui récapitule leurs œuvres dévoilera son contenu. Leur plus grand péché correspond à démentir le jour de la rétribution, à prétendre que la mort n’a pas de suite et que ni rétribution ni châtiment ne viendront récompenser ou punir les actes de la vie sur terre.

   Il a été rapporté sur Ibnou ‘Abbâs  qu’il a expliqué : « yawm ad-dîn : يَوم الدّين » représente le jour de la rétribution des créatures, il s’agit du jour de la résurrection où Dieu juge ses serviteurs selon leurs œuvres : si c’était un bien ce sera un bien, si c’était un mal, ce sera un mal sauf ceux à qui Dieu pardonnera, car le commandement est le Sien. Ensuite il dit : “La création et le commandement n’appartiennent qu’à Lui.” [s.7 Al-A‘râf, v.54.] »

   Le mot « ad-dîn : ٱلدين » dans le Coran compte plusieurs significations :

– « la souveraineté et le pouvoir » : « […] Car il ne pouvait pas se saisir de son frère selon la justice du roi […] », s.12 Youssoûf, v.76.

[…]مَا كَانَ لِيَأۡخُذَ أَخَاهُ فِى دِينِ ٱلۡمَلِكِ […]

– « chemin » : « Vous avez votre religion et à moi ma religion. », s.109 Al-Kâfiroûn (Les Infidèles), v.6.

لَكُمۡ دِينُكُمۡ وَلِىَ دِينِ

– « la gouvernance (al-houkm : الحُكْم) » : « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus de calamité et que la gouvernance soit entièrement à Allâh […] », s.8 Al-Anfâl (Le Butin), v.39.

[…]وَقَـٰتِلُوهُمۡ حَتَّىٰ لَا تَكُونَ فِتۡنَةٌ۬ وَيَڪُونَ ٱلدِّينُ ڪُلُّهُ ۥ لِلَّهِ‌ۚ

– « la législation (al-qânoûn : القانون) » : « Il vous a légiféré en matière de religion (législation) ce qu’Il avait enjoint à Noé […] », s.42 Ach-Choûrâ (La Consultation), v.13.

[…]  شَرَعَ لَكُم مِّنَ ٱلدِّينِ مَا وَصَّىٰ بِهِۦ نُوحً۬ا

– « la rétribution (al-jazâ’ : الجَزاء) » : « Maître du jour de la rétribution », s.1 Al-Fâtiha (Le Prologue), v.4.

مَـٰلِكِ يَوۡمِ ٱلدِّينِ

– « soumission et obéissance » : « dâna lahou : دانَ لَهُ » (il s’est soumis à lui).

   Dans le cas du verset 11, il s’agit de la rétribution.

Verset 12 : Or, ne le dément que tout transgresseur, pécheur

وَمَا يُكَذِّبُ بِهِۦۤ إِلَّا كُلُّ مُعۡتَدٍ أَثِيمٍ

   Le négateur du jour de la rétribution ne cesse de transgresser les lois de Dieu et multiplie les péchés, puisqu’il n’y a pour lui aucune crainte de l’au-delà. Il suit aveuglément ses instincts qui l’orientent toujours vers de mauvais penchants.

   Malgré l’existence de lois humaines établies par les différentes sociétés pour préserver un certain équilibre de vie, les excès ne sont pas limités ; les injustices et les dérives finissent par détruire l’homme. En effet, lorsque l’être humain invente les lois sans revenir à la législation divine, il ne peut faire preuve d’impartialité puisque sa passion et ses propres dérives lui dictent le profil des lois à mettre en place. D’où une évolution irréversible de la société vers la perversité, l’injustice et la mécréance.

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« […] Ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allâh a fait descendre, ceux-là sont les pervers. », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.47.

وَمَن لَّمۡ يَحۡڪُم بِمَآ أَنزَلَ ٱللَّهُ فَأُوْلَـٰٓٮِٕكَ هُمُ ٱلۡفَـٰسِقُونَ  […]

« […] Ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allâh a fait descendre, ceux-là sont les injustes. », s.5 Al-Mâ’ida (La Table servie), v.45.

وَمَن لَّمۡ يَحۡڪُم بِمَآ أَنزَلَ ٱللَّهُ فَأُوْلَـٰٓٮِٕكَ هُمُ ٱلظَّـٰلِمُونَ  […]

« […] Ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allâh a fait descendre, ceux-là sont les mécréants. », s.5 Al-Mâ’ida(La Table servie), v.44.

وَمَن لَّمۡ يَحۡكُم بِمَآ أَنزَلَ ٱللَّهُ فَأُوْلَـٰٓٮِٕكَ هُمُ ٱلۡكَـٰفِرُونَ […]

Verset 13 : qui, lorsque Nos versets lui sont récités, dit : « [Ce sont] des contes d’anciens ! »

إِذَا تُتۡلَىٰ عَلَيۡهِ ءَايَـٰتُنَا قَالَ أَسَـٰطِيرُ ٱلۡأَوَّلِينَ

   Trois caractéristiques ont été mentionnées concernant le négateur du jour de la rétribution : la transgression, les péchés et la négation des versets coraniques.

   Certains savants disent que ce verset vise Al-Walîd Ibnou-l-Moughîra puisque ces trois particularités ont déjà été citées à son sujet dans sourate Al-Qalam : « Et n’obéis à aucun grand jureur, méprisable, grand diffamateur, grand colporteur de médisance, grand empêcheur de bien, transgresseur, grand pêcheur, au cœur dur et en plus de cela bâtard. Même s’il est doté de richesses et de [nombreux] enfants. Quand Nos versets lui sont récités, il dit : “Des contes d’anciens !” Nous le marquerons sur le museau [nez]. », s.68 Al-Qalam (La Plume), v.10-16.

   Toutefois il est établi que le musulman doit tirer leçon de la généralité du propos et non de l’exclusivité de la circonstance.

« asâtir : أساطِر » fait référence à des contes qui n’ont pas de sens ou qui sont mensongers.

   Accuser les versets révélés de mensonges d’anciens prouve que ces négateurs avaient déjà entendu des informations similaires à ce qu’énonce le Coran sur la foi, l’au-delà, etc. Ce prétexte ressemble étrangement à celui qu’avancent les athées en affirmant que c’est l’homme qui a créé la religion.

Verset 14 : pas du tout, mais ce qu’ils accomplissent couvre leurs cœurs.

كَلَّا‌ۖ بَلۡۜ رَانَ عَلَىٰ قُلُوبِہِم مَّا كَانُواْ يَكۡسِبُونَ

   Les versets révélés par Dieu ne sont pas des contes d’anciens, mais de véritables signes divins qui mettent les gens en garde contre ce qui les attend dans l’au-delà.

« ar-rîn : الرّين » est le nom de la rouille qui couvre le fer. Les Arabes ont fini par employer ce terme pour désigner ce qui couvre et qui domine.

On dit « râna an-nou‘âsou ‘alâ foulân :  رانَ النَّعاس عَلى فُلان » (le sommeil a dominé untel) ; on dit aussi « râna al-khamrou ‘alâ foulân : رانَ الخمر على فُلان » (le vin a dominé et a couvert l’esprit d’untel).

   « qouloûb : قُلوب » est le pluriel de « qalb : قلب ». Dans ce verset, ce nom fait référence à la raison qui est la source de la connaissance et de la conscience.

   Dans un hadîth, le Prophète  explique ce verset comme suit : « Si le croyant vient à commettre un péché, une tâche noire vient se placer sur son cœur. S’il se repent, cesse de désobéir et implore le pardon d’Allâh, la tâche disparaît de son cœur. Et s’il persiste dan son péché, elle augmente de volume jusqu’à ce qu’elle couvre totalement son cœur. Et c’est ceci qui couvre le cœur, comme Allâh – exalté soit-Il – l’a mentionné dans Son Livre : “Non mais ce qu’ils ont accompli couvre leur cœur.” » [Rapporté par At-Tirmidhî, Ibnou Mâja, Ahmad, Ibnou Hibbân, Al-Hâkim qui l’a authentifié ainsi qu’Adh-Dhahabî.]

   Dieu a utilisé le verbe « yaksibou : يكْسِبُ » (accomplir) au présent. Ceci implique la répétition de l’opération ; l’insistance dans l’accomplissement des péchés (surtout les grands) finit par aveugler la personne, voiler sa raison et le pousser à la mécréance.

   La majorité des lecteurs du Coran fusionnent dans leur lecture le « ل » de « bal : بَل » et le « ر » de « râna : رانَ ». L’imâm ‘Asim préconise un arrêt sur le « bal : بَل » puis la reprise de la lecture avec « râna : رانَ ». L’imâm Hafs recommande un petit silence sans respiration entre les deux mots. Les gens d’Al-Hijâz prononcent clairement le « ل » ; mais Az-Zajâj pense que la fusion est préférable.

Verset 15 : Qu’ils prennent garde ! En vérité ce jour-là un voile les empêchera de voir leur Seigneur

كَلَّآ إِنَّہُمۡ عَن رَّبِّہِمۡ يَوۡمَٮِٕذٍ۬ لَّمَحۡجُوبُونَ

   Az-Zajâj a expliqué : « Ce verset est une preuve que les croyants peuvent voir Dieu le jour de la rétribution, sinon il n’y aurait aucun intérêt à révéler ce verset, et le degré des mécréants ne serait pas considéré comme bas sans Sa vision. »

   Ach-Châfi‘î, quant à lui, en a déduit : « Etant donné que des gens seront voilés de la vision de Dieu par la malédiction, ceci prouve que d’autres le verront par la satisfaction. » Ensuite il ajoute : « Par Dieu si Mouhammad Ibnou Idrîs [c’est-à-dire lui-même] n’était pas certain de pouvoir voir Dieu dans l’au-delà, il ne l’aurait pas adoré dans l’ici-bas. »

   Ces affirmations répondent aux mou‘tazilites qui prétendent que les pieux ne pourront pas voir Dieu le jour de la rétribution.

   Toutefois, Moujâhid Ibnou Jabr, élève d’Ibnou ‘Abbâs, a expliqué ce verset différemment : « Ils sont voilés de Sa bénédiction et de Sa miséricorde. » Le même sens a été rapporté sur Ibnou ‘Abbâs et Qatâda. Ibnou Kîssân a indiqué : « Ils sont voilés de la générosité de leur Seigneur. »

   Si ce verset peut supporter une telle interprétation, plusieurs textes – notamment des ahâdîth – confirment que des gens du paradis auront le grand privilège de voir Dieu sans voile entre eux et Lui.

   La source du litige entre les mou‘tazilites et ahl as-sounna wa-l-jamâ‘a sur ce sujet provient du fait que les premiers se basent sur le verset 103 de sourate Al-An‘âm : « Les regards ne peuvent L’atteindre, cependant qu’Il saisit tous les regards. »

   Ils prétendent que ce verset ne se limite pas à l’ici-bas, mais concerne également l’au-delà. D’où leur interprétation de tous les versets et les ahâdîth qui laisseraient entendre le contraire.

   Cependant, la raison ne peut réfuter l’idée selon laquelle Dieu peut donner à Ses serviteurs dans l’au-delà la capacité de Le voir, d’autant plus que plusieurs textes explicites vont dans ce sens.

Si Dieu a dit : « En vérité, ils seront voilés de leur Seigneur » et non pas « En vérité, ils seront voilés de la vue de leur Seigneur », c’est parce que le premier choix permet deux interprétations qui sont toutes les deux correctes, alors que le deuxième choix n’en permet qu’une seule. Le verset tel qu’il est révélé indique :

– qu’ils ne peuvent voir leur Seigneur. Ce qui est en soi une punition, surtout lorsqu’ils sauront que les pieux ont été rétribués par la possibilité de voir Dieu ;

– qu’ils sont voilés (ne bénéficieront pas) de la miséricorde et de la générosité de leur Seigneur et qu’ils n’ont aucun espoir de bénéficier d’un pardon de Sa part.

Verset 16 : ensuite, ils brûleront certes, dans la Fournaise

ثُمَّ إِنَّہُمۡ لَصَالُواْ ٱلۡجَحِيمِ

   L’utilisation du mot « thoumma : ثُمَّ » (ensuite) dans ce verset n’implique pas la « progressivité temporelle » (التَّراخي الزَّمنِيّ) mais plutôt la « progressivité graduelle » (التَّراخي الرُّتْبِيّ). En effet, brûler dans la fournaise est pour ces négateurs un châtiment beaucoup plus grand que de ne pas pouvoir voir Dieu ou bénéficier de Sa miséricorde ; le premier étant une punition physique alors que le second n’est qu’une sanction psychique.

   La lettre « ل » qui est attachée au mot « çâloû : صَالوا » implique la certitude. On dit « çaliya an-nâr : صَلِيَ النَّار » lorsque le sujet ressent la chaleur du feu. En revanche, si on souhaite dire « il s’est réchauffé avec le feu », on dit « içtâlâ bin-nâr : إصْطلىٰٓ بِالنّار ».

   Dans ce verset Dieu confirme bien que les négateurs brûleront dans la Fournaise et qu’ils ne pourront s’en échapper.

   Le mot « al-jahîm : الجَحِيم » est un des noms de l’enfer, au même titre que « an-nâr : النّار » (le feu), « as-sa‘îr : السَّعِير », « saqar : سَقَر », « jahannam : جَهَنَّم », « al-hâwiya : الهَوِيَة », « al-houtama : الحُطَمَة ». Chaque nom se réfère à un sens littéraire.

« Al-jahîm : الجَحِيم » se dit du feu qui est bien allumé d’où jaillissent des flammes. On parle aussi d’« al-jahma : الجَحمَة » ou « al-jouhma : الجُحمَة ». On dit « tajhamou jouhoûman : تَجْحَمُ جُحوماً »= « il s’allume bien ».

Verset 17 : on [leur] dira alors : « Voilà ce que vous traitiez de mensonge ! »

ثُمَّ يُقَالُ هَـٰذَا ٱلَّذِى كُنتُم بِهِۦ تُكَذِّبُونَ

   Encore une fois, l’utilisation du mot « thoumma : ثُمَّ » (ensuite) indique que l’annonce faite aux négateurs (“voilà ce que vous traitiez de mensonges”) entrainera une amertume supplémentaire au châtiment reçu. En effet, lorsque le châtié découvrira que la punition qui lui est destinée correspond exactement à leur dénégation de la vérité, le regret rongera alors son esprit au même titre que le châtiment tourmente son corps.

   Ce verset fait référence à la réponse que donnera Mâlik le gardien de l’enfer à ceux qui lui demanderont d’intercéder auprès de Dieu afin qu’ils trouvent la mort. Dieu dit : « Et ils crieront : “Ô Malik ! que ton Seigneur nous achève !” Il dira : “En vérité, vous êtes pour y demeurer [éternellement] ; certes Nous vous avions apporté la vérité mais la plupart d’entre vous détestaient la vérité” », s.43 Az-Zoukhrouf (L’Ornement), v.77-78.

وَنَادَوۡاْ يَـٰمَـٰلِكُ لِيَقۡضِ عَلَيۡنَا رَبُّكَ‌ۖ قَالَ إِنَّكُم مَّـٰكِثُونَ (٧٧) لَقَدۡ جِئۡنَـٰكُم بِٱلۡحَقِّ وَلَـٰكِنَّ أَكۡثَرَكُمۡ لِلۡحَقِّ كَـٰرِهُونَ

   Les anges gardiens de l’enfer présenteront la même réponse à ces négateurs au moment où ces derniers entreront dans la demeure du châtiment. Dieu déclare : « Et ceux qui avaient mécru seront conduits par groupes à l’enfer. Puis, quand ils y parviendront, ses portes s’ouvriront et ses gardiens leur diront : “Des Messagers [choisis] parmi vous ne vous sont-ils pas venus, vous récitant les versets de votre Seigneur et vous avertissant de la rencontre de votre jour que voici ?” Ils diront : “Si mais le décret du châtiment s’est avéré juste contre les mécréants” », s.39 Az-Zoumar, v.71.

وَسِيقَ ٱلَّذِينَ ڪَفَرُوٓاْ إِلَىٰ جَهَنَّمَ زُمَرًا‌ۖ حَتَّىٰٓ إِذَا جَآءُوهَا فُتِحَتۡ أَبۡوَٲبُهَا وَقَالَ لَهُمۡ خَزَنَتُہَآ أَلَمۡ يَأۡتِكُمۡ رُسُلٌ۬ مِّنكُمۡ يَتۡلُونَ عَلَيۡكُمۡ ءَايَـٰتِ رَبِّكُمۡ وَيُنذِرُونَكُمۡ لِقَآءَ يَوۡمِكُمۡ هَـٰذَا‌ۚ قَالُواْ بَلَىٰ وَلَـٰكِنۡ حَقَّتۡ كَلِمَةُ ٱلۡعَذَابِ عَلَى ٱلۡكَـٰفِرِينَ

   En parlant de l’enfer, Dieu dit aussi : « Peu s’en faut que, de rage, il n’éclate. Toutes les fois qu’un groupe y est jeté, ses gardiens leur demandent : “Quoi ! ne vous est-il pas venu d’avertisseur,” Ils disent : “Mais si ! un avertisseur nous était venu certes, mais nous avons crié au mensonge et avons dit : Allâh n’a rien fait descendre, vous n’êtes que dans un grand égarement” Et ils dirent : “Si nous avions écouté ou raisonné, nous ne serions pas parmi les gens de la fournaise” Ils ont reconnu leur péché, que les gens de la fournaise soient anéantis à jamais. », s.67 Al-Moulk (La Royauté), v.8-11.

تَكَادُ تَمَيَّزُ مِنَ ٱلۡغَيۡظِ‌ۖ كُلَّمَآ أُلۡقِىَ فِيہَا فَوۡجٌ۬ سَأَلَهُمۡ خَزَنَتُہَآ أَلَمۡ يَأۡتِكُمۡ نَذِيرٌ۬ (٨) قَالُواْ بَلَىٰ قَدۡ جَآءَنَا نَذِيرٌ۬ فَكَذَّبۡنَا وَقُلۡنَا مَا نَزَّلَ ٱللَّهُ مِن شَىۡءٍ إِنۡ أَنتُمۡ إِلَّا فِى ضَلَـٰلٍ۬ كَبِيرٍ۬ (٩) وَقَالُواْ لَوۡ كُنَّا نَسۡمَعُ أَوۡ نَعۡقِلُ مَا كُنَّا فِىٓ أَصۡحَـٰبِ ٱلسَّعِيرِ (١٠) فَٱعۡتَرَفُواْ بِذَنۢبِہِمۡ فَسُحۡقً۬ا لِّأَصۡحَـٰبِ ٱلسَّعِيرِ

   Toutes ces questions qui leur seront posées ont pour objectif de leur montrer qu’aucune excuse ne les épargne du châtiment. De telles circonstances ne peuvent qu’approfondir le regret et le malheur ressentis dans leur cœur

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